Bourgeoise jusqu'au bout des ongles, Thérèse Casgrain était issue d'une richissime famille québécoise et pourtant, c'est l'UQAM, l'«université du peuple», qui a honoré sa mémoire en nommant un pavillon à son nom, boulevard René-Lévesque. Quand on connaît l'histoire de cette femme hors norme toutefois, le lien avec l'UQAM est moins étonnant. En effet, Thérèse Casgrain aurait très bien pu passer sa vie à organiser des thés et des soirées mondaines. Jusqu'à la fin, elle a plutôt choisi de consacrer son existence à la défense des droits des plus démunis.

Nicolle Forget, qui publie ces jours-ci sa biographie, a connu madame Casgrain au milieu des années 60, au moment de la fondation de la Fédération des femmes du Québec. La jeune femme, alors âgée de 25 ans, s'est liée d'amitié avec cette dame de bonne famille qui n'avait pas peur de prendre la parole en public à une époque où tout ce qu'on attendait d'elle, c'était de réussir un soufflé ou un arrangement floral.

«On confond souvent Thérèse Casgrain avec Claire Kirkland-Casgrain, première femme à être élue à l'Assemblée nationale, note Nicolle Forget, qui a également publié une biographie de Ludmilla Chiriaeff. Sinon, on identifie Thérèse Casgrain à l'épisode des Yvette. Or, elle a été tellement plus que cela.»

Femme de combat

Du droit de vote des femmes au statut de la femme amérindienne, en passant par le statut de la femme mariée et les droits de la personne, Thérèse Casgrain a en effet participé à plusieurs combats.

Dès 1942, soit deux ans après l'obtention du droit de vote pour les femmes, elle se présentait en outre comme candidate «indépendante-libérale» dans la circonscription de Charlevoix-Saguenay, dans une élection fédérale partielle.

De 1951 à 1957, elle dirigeait la branche québécoise du Parti social-démocratique, ce qui a fait d'elle la première femme chef d'un parti politique au Québec. Candidate à plusieurs reprises, elle ne sera malheureusement jamais élue.

«Quand elle arrivait dans une organisation, ce n'était pas long qu'elle en prenait la tête et imposait ses règles, observe Nicolle Forget. C'est dommage que les partis politiques n'aient pas pu utiliser ses talents, mais en même temps, je crois qu'elle aurait été incapable de suivre la ligne de parti.»

Thérèse Casgrain a également présidé la Ligue des droits de l'homme et la section francophone de l'Association canadienne pour l'éducation des adultes. En 1969, elle devenait présidente québécoise de l'Association des consommateurs du Canada, un organisme qui a forcé le gouvernement fédéral à créer un poste de ministre de la Consommation.

Appui à Pierre Trudeau

Même si Nicolle Forget connaissait Thérèse Casgrain - cette dernière avait même organisé son «shower» de mariage -, elle a découvert certains aspects méconnus de la vie de son amie. Rien de bien scandaleux, cela dit, Mme Casgrain n'étant pas du genre à s'épancher dans un journal intime. «J'ai toujours pensé que Thérèse était une femme froide, peu chaleureuse, note sa biographe. Or elle écrivait des lettres très intenses à celui qui a été le premier véritable amour de sa vie.»

Mme Forget a également découvert que son amie possédait un réseau de contacts internationaux fort enviable, des contacts qu'elle avait forgés par l'entremise de l'Internationale socialiste et des groupes communistes.

La biographe estime que son amie, nommée sénatrice à l'âge de 75 ans, a sans doute regretté d'avoir signé la Loi sur les mesures de guerre. «Elle était aveuglée par Pierre Trudeau, de qui elle était proche, note Nicolle Forget. Ce n'était pas une intellectuelle et elle aurait peut-être dû faire lire les textes par des collaborateurs. Cet appui n'est absolument pas cohérent avec ses actions passées.»



Mener ses batailles

Mariée à Pierre Casgrain, un avocat qui avait l'ambition d'une carrière politique mais qui est décédé assez jeune, la jeune femme n'a pas consacré beaucoup de temps à l'éducation de ses enfants, préférant les confier à une nounou pendant qu'elle allait mener ses batailles à Québec ou à Ottawa. Jusqu'à la fin, elle a toujours refusé d'entrer dans le moule, malgré ceux qui lui intimaient de retourner à ses chaudrons.

En lisant le livre de Nicolle Forget, on est épaté par le souffle de cette femme qui, à l'âge de 84 ans, prenait encore l'autobus seule pour aller rencontrer des chefs autochtones dans la région du Lac-Saint-Jean. On découvre aussi avec intérêt l'histoire de sa famille, les Forget, dont les destinées sont intimement liées à l'histoire financière du Québec.

Son père, Rodolphe, possédait une des plus grandes fortunes du Québec et était à l'origine de plusieurs entreprises, dont la Montreal Light, Heat and Power - ancêtre d'Hydro-Québec - et la Dominion Textile. Le nom de la famille Forget - qui passait ses étés à Saint-Irénée - a également profondément marqué la région de Charlevoix.

Le livre nous en apprend cependant peu sur la vie personnelle et intime de Thérèse Casgrain, sur sa relation avec ses enfants, son mari, etc. Nicolle Forget n'hésite d'ailleurs pas à l'écrire, ponctuant son texte de «Je n'ai rien trouvé à ce sujet...» ou encore «Je ne sais pas ce qui s'est passé à ce moment-là...».

Une démarche inusitée que l'auteure explique par un souci d'honnêteté. «Je suis très à l'aise avec le fait de dire que je ne sais pas tout, affirme-t-elle. Je ne suis pas historienne et je ne ferai pas croire que j'ai écrit LE livre définitif sur Thérèse Casgrain.»

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Thérèse Casgrain: La gauchiste en collier de perles. Nicolle Forget. Fides, 552 pages.