Intéressé par la bataille des plaines d'Abraham? Amateur de romans policiers intelligents? Fasciné par Champlain? Les complots? La ville de Québec? La question référendaire? La poésie? La minorité anglophone? Les lieux inédits? Pour tout cela et plus encore, il faut lire Enterrez vos morts, sixième tome de la série Armand Gamache enquête, peut-être le meilleur écrit par l'auteure canadienne-estrienne d'adoption Louise Penny. Que nous avons rencontrée jeudi, lors de son passage à Montréal.

«Si je crois aux miracles?», lance Louise Penny lorsqu'on lui demande si elle ressemble à son héros Armand Gamache, inspecteur-chef fictif de la Sûreté du Québec, qui croit fermement à la part de miraculeux en tout être. «J'y crois tout à fait: j'en suis un!»

Ce n'est pas une boutade. Il y a Louise Penny née à Toronto, journaliste pour la CBC à Québec pendant plusieurs années, auteure depuis 2005 d'une série de romans policiers en anglais qui ont pour cadre l'Estrie et le Québec, série vendue à des millions d'exemplaires dans près de 30 pays, traduite dans 23 langues (en français depuis 2010), couronnée d'un nombre incroyable de prix prestigieux, et qui vient d'inspirer un premier téléfilm pour la CBC, lancé plus tard cette année.

Et puis, il y a aussi Louise Penny: celle qui a choisi un jour de changer, de se tourner vers la sobriété, de ne plus avoir peur de tout ni d'elle-même: «À une époque, je ressemblais assez au personnage de l'agent Yvette Nichol [un être particulièrement aigri et tourmenté]. Je pensais vraiment que je pouvais boire du poison et que ce serait les autres qui en mourraient... Je me suis regardée et j'ai réalisé que si je m'étais rencontrée, je ne me serais pas aimée. Il me restait encore quelque 40 ans à vivre, est-ce que je voulais les vivre ainsi?» Elle ne le voulait pas. Elle a changé. Elle a ensuite rencontré son mari, Michael Whitehead, chef du département d'hématologie du l'Hôpital de Montréal pour enfants pendant 25 ans. Elle a déménagé dans les Cantons-de-l'Est. Et elle a inventé de toutes pièces le village estrien de Three Pines, Armand Gamache, Jean-Guy Beauvoir et compagnie.

Si Louise aime profondément la poésie (son personnage de poète Ruth Zardo est inspiré par Margaret Atwood), c'est Michael qui l'a initiée à l'art visuel. «En fait, ce ne sont pas les tableaux que j'aime, c'est Michael regardant les tableaux...», dit-elle, ce qui lui a donné l'idée de créer deux personnages de peintres dans ses romans. Et c'est l'amitié entre Michael, plutôt fédéraliste, et Jacques-Yvan Morin, nettement séparatiste, qui a notamment nourri les propos sur la question nationale et constitutionnelle dans Enterrez vos morts. Cela passionne les Américains, les Français, les Italiens, etc.!

En fait, ce qui fait le charme et la force des polars de Louise Penny vient de la vie même de Louise Penny, de ses expériences et de son regard. Dans la lignée des grands auteurs que sont P.D. James ou Georges Simenon, elle utilise la mort violente, infligée, pour parler de la vie, de valeurs qui lui importent. Et dans le cas particulier de Enterrez vos morts, de l'histoire du Québec, ainsi que de la minuscule communauté anglophone de la capitale: «Lorsque j'étais à Québec, j'ai été à la fois passionnée par tout ce que j'apprenais sur l'histoire et secouée par la douleur, la souffrance de la communauté anglophone: ils ont tout perdu, perdu surtout leurs enfants, qui ont généralement quitté le Québec.»

Enfin traduit par une équipe digne du talent de Louise Penny (les soeurs Claire et Louise Chabalier - il ne reste plus qu'à espérer une version audio française des livres), Enterrez vos morts ne décevra pas les lecteurs de tout acabit. Alors que le huitième tome des enquêtes de Gamache vient de sortir en anglais (The Beautiful Mystery, inspiré notamment par les moines de Saint-Benoît-du-Lac et d'Oka!), l'écrivaine se prépare à accompagner le film tiré du premier tome («J'ai vu le film, et franchement, je l'ai apprécié, alors que j'avais vraiment peur de ce que ça allait donner»), et à évaluer la visite guidée Bury Your Dead, organisée à Québec. Mais surtout, elle se prépare à défendre son personnage principal: «Certains me reprochent d'avoir créé un policier humain, plutôt équilibré, sensible à la beauté et aux autres. Je crois, moi, qu'il est beaucoup plus difficile d'être un être humain digne, décent, qu'il est toujours plus facile de succomber au cynisme. Si je crois au miracle? Tout à fait, cela s'appelle la compassion, l'empathie, la bonté.»

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Enterrez vos morts. Louise Penny. Flammarion Québec. 465 pages.