Avec Point d'équilibre, recueil de nouvelles très maîtrisé, Mélissa Verreault prouve qu'elle peut se glisser autant dans la peau d'un petit garçon que d'un immigrant en mettant le doigt sur ce qui fait chavirer leur univers, avec empathie et intelligence.

Le déséquilibre, Mélissa Verreault en connaît un rayon depuis le 18 avril 2012, jour où elle a donné naissance à des triplés, trois minuscules petites filles nées trois mois avant terme. «Je travaillais déjà sur le livre avant d'être enceinte. J'avais trouvé mon fil conducteur, mais je ne pensais pas que je le vivrais de façon aussi intense!»

Comme ses personnages qui vivent tous un point de rupture, Mélissa Verreault a vu son existence basculer lorsqu'elle a appris qu'elle attendait des triplés - et encore plus depuis qu'elles sont au monde! Conçus de manière naturelle et non par procréation assistée, les trois bébés sont, depuis, le centre de chaque instant de sa vie.

On est loin de la rédactrice branchée de la revue Urbania qui a publié un premier roman intitulé Voyage léger il y a moins de deux ans, dans lequel elle racontait la fuite en avant d'une jeune femme devant un échec amoureux et la maternité. «Il n'y avait rien d'autobiographique, dit l'auteure de 29 ans. La maternité était un concept, alors que là c'est 100% vécu. Je ne pourrais jamais écrire Voyage léger en ce moment, parce que je fais tout sauf voyager léger!»

Si elle admet chercher chaque jour son point d'équilibre depuis la naissance de ses filles, Mélissa Verreault, qui préfère le mouvement au statu quo, estime que cette quête est universelle. «Mettre le pied sur le sol en se levant le matin est une recherche d'équilibre.»

Exils et deuils

Elle raconte avoir écrit ce livre en exil - commencé en Italie, puis travaillé en grande partie alitée, en exil de son corps - et a aussi voulu transposer cette thématique dans la fiction. «Après deux livres, j'arrive à la conclusion que c'est à la base de l'écriture. Le quotidien est composé de petits exils, de petits deuils. On est toujours en train de se reconstruire et de se recréer.»

Mélissa Verreault est passée d'un roman introspectif à une seule voix à un recueil de 11 histoires qui décrivent avec habileté et précision des situations aux antipodes. Que ce soit celle d'une jeune femme venant de Rivière-à-Pierre fraîchement installée dans Côte-des-Neiges et qui fait une psychose après avoir été abordée dans un dépanneur par un inconnu qui prétend la connaître, d'une dame solitaire qui apprend qu'elle est gravement malade, d'un soldat de retour d'Afghanistan en choc post-traumatique...

Autant d'histoires disparates qu'elle réussit à rendre avec le même sens du concret et du détail - «La poésie est dans les petites choses» - et une sensibilité extrême. «Tout est relatif et ce qui est un drame pour quelqu'un ne l'est pas pour un autre. Ça dépend des contextes, des conjonctures. Les drames commencent dès l'enfance, et aucun n'est à négliger.»

Même si les personnages vivent dans des univers très différents, on s'amuse à voir les nouvelles de Point d'équilibre se faire écho, par l'apparition fugace du protagoniste d'une autre histoire, un nom évoqué, un événement relaté. Mélissa Verreault admet qu'elle est passée tout près du roman choral, mais qu'elle a préféré assumer et s'en tenir à la nouvelle, un genre qu'elle apprécie.

«Je trouve que la nouvelle est très adaptée à notre mode de vie. Je tenais à ce que chacune fonctionne séparément, mais j'avais aussi besoin de quelque chose d'un peu plus grand, d'un lien. J'aurais pu pousser davantage, mais j'ai décidé que non. Est-ce que j'ai été paresseuse? Je ne crois pas.»

De toute façon, elle n'aurait pas eu le temps: la jeune femme a envoyé son manuscrit à sa maison d'édition le 12 avril, est entrée d'urgence à l'hôpital le lendemain pour accoucher cinq jours plus tard. Fera-t-elle un jour le récit de ces moments hors de l'ordinaire? «Je ne sais pas. La fiction est supposée dépasser la réalité, et c'est déjà tellement gros...»

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Point d'équilibre. Mélissa Verreault. La Peuplade, 163 pages.

EXTRAIT POINT D'ÉQUILIBRE

Ça n'a pas été long que monsieur Gérard a fini par me rattraper. Maxime se cachait derrière lui. Je me suis fait engueuler comme du poisson qui pue. «Tu devrais prendre exemple sur lui, ça, c'est un vrai bon p'tit gars.» Max n'essayait pas de me défendre. Il regardait son maudit iPod qui le met toujours en retard, comme s'il n'avait rien à voir là-dedans.