Comme le Beaujolais, le Tremblay nouveau nous arrive tous les ans, et ses lecteurs seront heureux d'apprendre que ce dernier roman est entièrement consacré à Ti-Lou, célèbre Louve d'Ottawa, qu'on retrouve à la croisée des chemins.

La célébrité n'est pas le seul avantage qu'offre une oeuvre construite, patiemment, sur des décennies. En peuplant sa galerie de personnages, Michel Tremblay a le privilège de choisir celui ou celle qui conviendra à ses plans, et cela, sans avoir à l'introduire auprès du lecteur, tout en ajoutant une profondeur de champ au vaste tableau de son univers inventé. «C'est toujours le sujet qui me vient avant, et je cherche toujours quel personnage peut charrier ce sujet-là et dans quelle histoire le situer», dit-il.

L'an dernier, Michel Tremblay a confié être partagé entre l'envie d'écrire sur Ti-Lou et l'idée d'écrire un roman sur le hasard. Il a finalement combiné les deux. Au hasard la chance, qui s'inscrit dans la Diaspora des Desrosiers, nous ramène la flamboyante Ti-Lou qui, en 1925, décide de prendre sa retraite, elle qui a longtemps été la plus célèbre «guidoune» d'Ottawa, car elle préfère lâcher le métier avant qu'il ne la lâche... Elle se rend à Montréal et c'est là que Michel Tremblay lui invente cinq destins différents, pour illustrer qu'au détour d'une parole, d'un coin de rue, c'est toute notre vie qui peut changer.

«En vieillissant, le hasard, c'est très troublant, confie-t-il. Ma mère disait toujours à mes deux frères et moi: Les enfants sont des hasards, mais encore plus vous autres, parce que j'ai dû traverser le Canada trois fois pour rencontrer votre père. D'où la synchronicité dans notre existence, à quel point chacun d'entre nous est le résultat d'un hasard inimaginable. C'est la raison pour laquelle je voulais inventer cinq destins à un personnage. Nos maris, nos femmes, nos chums, on les a tous rencontrés par hasard. Quand quelqu'un me dit qu'il ne croit pas au hasard, je trouve ça ridicule, car au contraire, il n'y a que cela dans la vie.»

Ti-Lou croisera ainsi un maniaque au rasoir, un ancien client, un prostitué mâle, une épouse trompée et rageuse, ainsi que l'amour... On vous laisse le soin de deviner lequel de ces destins Michel Tremblay préfère pour sa Ti-Lou. Bien sûr, c'est à Montréal que ça se passe, car comme il le rappelle, c'est la ville «Eldorado» de la Diaspora des Desrosiers, là «où tout le monde se rend dans l'espoir d'être heureux».

Ti-Lou, elle, s'y rend pour se «ranger». Elle choisit presque une vie monacale en prenant pour la première fois un appartement, alors qu'elle a passé des années dans une chambre d'hôtel. «Mais à Montréal, au lieu d'aller s'enfermer, elle a des possibilités d'ouverture, au contraire de ce à quoi elle s'attendait.»

Impossible de ne pas aimer Ti-Lou, en lutte contre un monde d'hommes et une société hypocrite. Ce que Michel Tremblay aime le plus chez elle? «Sa tête de cochon, qui ressemble beaucoup à la mienne. J'aime les personnages qui ont une idée fixe, cette idée qu'elle a traînée toute sa vie, se venger de son père en devenant prostituée et fréquenter le même monde pour lui faire honte. Comme Monte-Cristo, mais sur une vie complète.» Toute la Diaspora des Desrosiers est un hommage à ces femmes qui n'ont pas eu le choix d'être courageuses, mais du lot, c'est Ti-Lou peut-être qui est la plus consciente de son combat.

Et à Ti-Lou, cette gourmande accro au sucre dont les lecteurs de l'oeuvre de Tremblay connaissent la fin ultime, l'écrivain avait envie de donner le «cadeau de l'espoir», un tour de passe-passe que seule l'écriture, cet art jouant avec le temps, peut lui permettre. Rendez-vous l'an prochain, puisque Michel Tremblay nous annonce qu'il travaille à un roman sur l'adolescence de la duchesse de Langeais...

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Au hasard la chance. Michel Tremblay Leméac/Actes Sud, 158 pages.

Extrait Au hasard la chance

«Pour se persuader de ne pas sauter sur ses sacoches d'argent et courir à la gare Windsor prendre le premier train pour chez elle, Ottawa, la suite du Château Laurier, les draps imprégnés de son cher gardénia, les bras des hommes odorants et ingrats, elle place sa main droite à plat contre le miroir. Et contemple pendant de longues minutes les veines bleutées et les vilaines tavelures, les marques incontournables du vieillissement. Si le reste peut tromper, pas ça.»