Journaliste pigiste et grande voyageuse, Bianca Joubert écrit de la fiction depuis longtemps, même si Le brodeur est son premier roman publié. Éclairé par la lumière crue du Sahel et rempli des mystères et légendes d'un continent, ce court livre qui ressemble à une série d'instantanés nous fait pénétrer au coeur de l'Afrique.

«Ce livre est le résultat de tout ce que j'ai vécu en Afrique, des lieux que j'ai vus, des gens que j'ai rencontrés.» Bianca Joubert a fait quatre séjours là-bas, le premier au Burkina Faso, où se déroule Le brodeur. Elle est aussi allée au Sénégal où, comme journaliste, elle s'est intéressée aux immigrants illégaux. «C'est devenu un texte de fiction, pour lequel j'ai remporté le prix de la nouvelle de Radio-Canada en 2008. Mais la romancière en moi avait encore beaucoup à dire.»

Le brodeur est d'abord le récit d'une Occidentale qui observe d'un oeil naïf le monde dans lequel elle débarque, le temps d'un programme de coopération internationale, mais qui peu à peu s'en imprègne. On est «dans la fiction à 90%», mais aussi pas très loin de l'auteure et de sa manière de concevoir l'Afrique, où elle s'est toujours sentie comme chez elle. «Je n'ai jamais vraiment vécu de choc culturel là-bas.» Son secret? «Il ne faut pas arriver avec de gros sabots. On donne, mais on reçoit beaucoup. Moi, j'ai pris et appris.»

En résultent un abandon, une ouverture et une absence de jugement qui se reflètent dans son personnage principal. Pas question de se poser en moralisatrice devant la polygamie, par exemple: Bianca Joubert préfère mettre en contexte. «Je ne dis pas que je suis pour. Je dis juste qu'ici, les couples éclatent, les gens ont des maîtresses, des amants... Là-bas, ils n'ont pas la même conception de l'individualité. Les gens forment une équipe, parce que ça va mieux en gang.»

Bianca Joubert est contente d'avoir pris du recul avant d'écrire Le brodeur. «Si je l'avais commencé après mon premier voyage, ma vision aurait été trop idéalisée et le livre aurait été moins bon.» Elle estime montrer davantage les deux côtés de la médaille, mais son objectif restait de dépasser la vision misérabiliste de l'Afrique. Son côté journaliste lui a aussi fait insérer des aspects plus documentaires et politiques. C'est que pour Bianca Joubert, la littérature doit être signifiante et engagée. «C'est ce que j'aime lire, quand il y a un côté historique, quand j'apprends. Je crois que je peux amener une conscientisation en touchant les gens.»

Elle est particulièrement sensible au sort de ces milliers d'Africains qui, chaque année, tentent de fuir le continent. «Nous avons l'habitude de voyager où on veut, quand on veut. Pour nous, les frontières sont ouvertes, mais dans l'autre sens, c'est bloqué, tellement qu'ils sont traités comme des criminels. Quand ils réussissent à passer, ils pensent trouver l'eldorado, mais ils ne savent pas ce qui les attend...»

La deuxième partie du roman raconte d'ailleurs le parcours de deux hommes qui quittent leur pays et traversent le désert jusqu'en Libye pour pouvoir faire la traversée vers l'Italie. Un de ces deux hommes est le brodeur du titre, et c'est son compagnon de voyage qui raconte à la narratrice, revenue au Québec, l'enfer qu'ils ont traversé.

Le brodeur, homme mystérieux, taciturne et un peu sorcier, elle l'a connu et aimé lors de son séjour là-bas. «Leur relation est le fil conducteur du livre», dit l'auteure, qui l'a cependant évoquée avec beaucoup de pudeur. «Il est un peu le double de la narratrice, même s'il est extrêmement différent. Ça dit que nous sommes tous des humains, et que, partout, on peut trouver une part de soi dans l'autre.»

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Le brodeur. Bianca Joubert. Marchand de feuilles, 160 pages.

Extrait Le brodeur

«Je sais ma présence accessoire au sein de cette communauté dont la vie est régie par les bontés et les caprices du sol et du ciel. Autant considérer que je suis là pour rien parce que sous ce soleil, si haut au-dessus de la terre sèche, je ne suis rien. Personne ne vient jusqu'ici pour sauver le monde.»