Après plus de 50 ans d'abandon de la forme romanesque - il n'a publié qu'un seul roman, L'amour en vogue, en 1959 - le célèbre animateur d'Apostrophe et de Bouillon de culture publie un deuxième roman, dans lequel un journaliste, Adam Hitch, souffre de «questionnite» aiguë, ce qui le sert bien dans son métier mais nuit à sa vie intime. L'occasion pour Bernard Pivot de rendre hommage à la curiosité, lui qui voit le paradis comme un endroit où l'on répond à toutes vos questions et l'enfer, le lieu où on vous oppose le silence.

Q : Jean Cocteau a dit: «un beau livre est celui qui sème à foison les points d'interrogation». Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

R : Oui. Enfin, je pense que pour faire un bon livre, il ne suffit pas de mettre des points d'interrogation, mais c'est bien qu'il y en ait. Je crois que mon roman, c'est un éloge du point d'interrogation. Le point d'exclamation, c'est un arrêt de la phrase, tandis que le point d'interrogation demande une suite. Le point d'interrogation, c'est une curiosité, il exige une réponse, c'est le symbole même de la vie qui continue, de la culture qui se perpétue, de la recherche qui s'accentue... Le point d'interrogation est le synonyme de la curiosité et de la vie.

Q : Les femmes prennent aussi une grande importance dans le roman. Quelle est la pire question qu'on puisse poser à une femme, à votre avis?

R : «À quoi tu penses?» C'est la porte ouverte à tous les mensonges, où généralement elle vous répond «à rien», ce qui est faux neuf fois sur dix. Les lecteurs doivent comprendre qu'Adam Hitch est un journaliste de télévision qui est devenu célèbre en France, il est très doué pour poser des questions, mais il a étendu dans sa vie privée sa manie de poser des questions. Il devient vite insupportable avec les femmes. Il a envie de tout connaître jusqu'au fond de l'âme des femmes avec lesquelles il vit, et donc il les harcèle de questions. Certaines tiennent trois mois, les plus courageuses tiennent trois ans, mais, au bout d'un moment, elles renoncent à vivre avec un questionneur aussi terrifiant dans son opiniâtreté.

Q : Vous abordez la question d'un angle sociologique aussi. En disant entre autres «qu'on peut mesurer l'évolution d'une société au seul répertoire des questions qu'il est convenable de poser au fil du temps.»

R : À un moment dans le roman, on voit qu'Adam Hitch pose une question que moi, dans ma génération, on n'aurait jamais osé poser à nos parents: «Votre première rencontre sexuelle, comment ça s'est passé?». Je pense que même mes enfants n'auraient pas osé me la poser non plus. Dans les nouvelles générations, il y a plus de liberté, plus de toupet, plus de culot et cette question-là n'est probablement plus tabou dans certaines familles.

Q : Quelle est la question qu'on vous a le plus souvent posée?

R : «Comment expliquez-vous votre réussite à Apostrophe?» On me l'a encore posé à midi! Je n'ai pas de réponse calibrée ou ordonnée, je suis toujours un peu hésitant et parfois contradictoire dans mes réponses.

Q : Quelle question vous a le plus déstabilisé dans votre vie?

R : La question qui pour moi est la plus importante c'est: «Est-ce que tu m'aimes»? C'est une question fondamentale dans notre vie privée. C'est une question qui est en même temps est une affirmation. Ça veut dire «je t'aime, mais dis-moi s'il y a réciprocité». C'est une question qui engage un homme ou une femme, qu'il ou elle réponde oui ou non.

Q : Au fond, la «questionnite» est une maladie de la curiosité. Ne croyez-vous pas que ce que l'on nomme la culture, la connaissance, l'érudition, ne sont au fond que des avantages collatéraux de la curiosité?

R : C'est plus que des avantages, ce sont des bienfaits! La curiosité est indispensable, c'est une vertu, il faut être curieux et j'espère, moi, garder ma curiosité jusqu'au dernier jour. Je pense que ne pas vieillir, c'est continuer d'être curieux. On vieillit quand même, le corps n'obéit pas à tous nos désirs, mais je pense que l'esprit reste alerte si son titulaire continue de poser des questions, de montrer de la curiosité pour les choses du monde qui l'entourent. Il n'y a rien de pire pour un homme ou une femme qui vieillit que de renoncer à comprendre le monde, de se boucher les oreilles, de dire tout est nul, tout est mauvais, qu'autrefois c'était bien et que maintenant ce monde fait peur. Je pense alors que le vieillissement et la mort sont proches.

__________________________________________________________________________

Oui, mais quelle est la question? Bernard Pivot, NiL, 271 pages.

Extrait Oui, mais quelle est la question?

«Parfois, pendant les minutes où le sommeil tarde à me reprendre, je pense à ce carambolage du rêve et de l'ordinateur, cette alliance du subconscient et d'Internet, cette demande surgie de la nuit qui trouve sa réponse à la lumière de Wikipédia. La modernité au secours des vieilles et obscures forces du cauchemar. Et, chaque fois, en un temps record. Même si cela m'agace, je dois reconnaître que ma culture s'est enrichie de mes pollutions intellectuelles nocturnes.»