Madonna, Paul McCartney, Chloë Sevigny... Il aura fallu que les pop stars s'en mêlent pour que l'affaire Pussy Riot prenne des proportions internationales. Mais cela ne suffira probablement pas à réduire la peine de ce groupe art-punk féminin, qui vient d'être condamné à deux ans de prison, pour avoir « proféré « une prière anti-Poutine dans la Cathédrale du Christ-Sauveur, à Moscou. Auteur d'un livre exhaustif sur l'histoire du rock russe (Back in the USSR, paru au printemps), Joël Bastenaire nous explique pourquoi.

Q Êtes-vous surpris par l'affaire Pussy Riot?

R Pas vraiment. Mais disons que la punition est excessive. Il y a dans cette histoire une sorte de rouleau compresseur qui est plus religieux que politique et cela a créé un effet boule de neige qui paraît incontrôlable... Le problème, ce n'est pas tant ce que ces filles ont dit que l'endroit qu'elles ont choisi et le fait qu'elles aient mis leur chanson sur YouTube. Si la diffusion avait été plus restreinte, le pouvoir n'aurait rien dit. Mais là, ils ont peur que cette performance inspire des gens plus radicaux. Ils ont peur que des groupes d'extrême droite aillent faire ce genre de folies dans des mosquées ou des synagogues.

Q Punir pour montrer l'exemple, donc?

R Je pense qu'il y a présentement une volonté du Kremlin d'associer l'Église au pouvoir, ce que craint d'ailleurs l'intelligentsia. Poutine veut rallier les croyants conservateurs, pour éviter qu'ils votent pour l'extrême droite. Il recherche aussi bien la coopération de l'Église orthodoxe et des musulmans. Pussy Riot est un peu l'instrument de tout cela. D'un autre côté, elles ont gagné une espèce de poids moral. Comme elles suscitent la pitié, elles creusent une rupture entre la jeunesse et le pouvoir. En ce sens, elles ont réussi leur provocation.

Q Est-ce que les réactions internationales peuvent aider leur cause?

R Peut-être une libération anticipée, mais pas une révision du procès et de la peine. Ce serait montrer qu'on est faible et qu'on écoute l'étranger. La population sur qui compte Poutine est celle qui veut qu'il soit ferme. Il va refuser de réviser le procès. Dans un souci électoraliste, il les fera peut-être sortir six mois avant la fin de la peine.

Q Est-ce la première fois qu'un groupe de rock russe est aussi sévèrement puni ?

R Jusqu'à la fin des années 70, il pouvait y avoir de la destruction de matériel et de l'interdiction de concerts. Des gens ont été mis en prison parce qu'on les accusait de vendre des bandes avec des textes interdits. Mais ça, c'était avant. Après Gorbatchev (1987), les gens disaient ce qu'ils voulaient. On pouvait avoir des paroles extrêmement dures pour des hommes politiques. Mais tant que ça se passait dans des clubs, ça n'allait pas plus loin que l'amende. Là, c'est la première fois que c'est aussi dur. Mais c'est à cause de la religion, pas du rock. Regardez : il y a depuis plusieurs mois un album blanc virtuel qui circule sur le Net. On y trouve 170 chansons contre Poutine et le Kremlin n'a rien dit.

Q Le rock russe a-t-il toujours été aussi politique?

R Il y a eu en URSS, comme partout, des groupes qui ont chanté l'insouciance. Mais dans le contexte totalitaire d'avant 1987, cet acte de liberté individuelle avait forcément une portée politique. Ce qui est certain, c'est que le rock a sensibilisé les gens dans les années 80. Ce fut un instrument fondamental pour l'éveil des consciences. Quand les chanteurs ouvraient la bouche, ils le faisaient avant la presse. D'une certaine manière, les journaux disaient des choses que les rockeurs avaient déjà dites.

Q Des noms à retenir?

R J'en vois au moins quatre. Youri Chevtchouk, du groupe DDT. À 53 ans, il est encore très célèbre. Il est la pointe du combat contre Poutine. Boris Grebenshchikov, leader du groupe Aquarium, a beaucoup combattu le communisme. Il ne fait plus de politique, mais il a récemment demandé la libération des membres de Pussy Riot. Igor Letov a eu un impact énorme; il est mort en 2003, mais est encore extrêmement écouté. Enfin, Victor Tsoï, chanteur du groupe Kino, mort en 1990. C'est une idole absolue. Les jeunes demandent des statues et des rues à son nom.

Q Le contexte a quand même changé. Quelle est l'importance du rock dans la Russie de Poutine?

R C'est vrai que la presse russe est encore relativement libre. Les journalistes n'attendent plus les chanteurs pour parler. Mais le rock a quand même un rôle à jouer. On assiste présentement à une dérive du régime. Il y a des amendes pour les manifestations politiques. Poutine veut fermer le pays. Son gouvernement n'est pas en danger, mais les gens sont mécontents... Les rockeurs peuvent essayer de faire un lien entre la révolte individuelle, esthétique et physique et la liberté des consciences. Certains le font très bien. Il y a aussi les rappeurs, qui n'existaient pas à l'époque. Je vois des clips de plus en plus durs et de plus en plus agressifs. Je ne sais pas où tout ça s'en va, mais je pense que ça a un impact sur les jeunes...

Back in the USSR - Une brève histoire du rock et de la contr-eculture en Russie de Joël Bastenaire est paru au printemps aux éditions Le mot et le reste.