La première série d'Anna Godbersen se voulait une métaphore de la course au conformisme de l'adolescence. Son nouveau projet, lui, a un tout autre thème: les dangers d'une course trop effrénée vers la liberté, qui fait oublier ses racines.

L'écrivaine new-yorkaise se démarque des autres auteures pour adolescentes. Pas de fantastique. Pas de vampires ni de futur menaçant. Mme Godbersen a tout d'abord écrit sur la bourgeoisie new-yorkaise de la fin du XIXe siècle - Rumeurs, Tricheuses, Vénéneuses et Rebelles. Elle s'attaque maintenant aux années folles avec Tout ce qui brille - le deuxième tome de la série, Beautiful Days, vient de paraître en anglais et le troisième, The Lucky Ones, sort en septembre.

«Quand j'étais adolescente, j'étais attirée par les livres qui m'amenaient dans d'autres mondes», explique l'écrivaine de 32 ans, en entrevue téléphonique. «J'ai lu un peu de fantastique. Mais aussi beaucoup de fiction historique, Edith Wharton ou Marion Zimmer Bradley et ses réinterprétations féministes des légendes arthuriennes. J'aimais m'imaginer dans des environnements complètement différents du mien. Très jeune, je me racontais des histoires dans ma tête. J'étais gênée et je me suis rapidement dit que je deviendrais écrivaine.»

Pour peaufiner son approche, Mme Godbersen a suivi des cours d'histoire urbaine durant ses études universitaires à New York. «Je vais souvent à la société historique. Ils ont une tonne de vieux magazines qui sont précieux pour mes descriptions.»

Tout ce qui brille suit deux jeunes femmes du Midwest qui débarquent à New York et se font happer par les feux de la rampe et les promesses des gangsters. On y retrouve la bourgeoisie new-yorkaise avec un troisième personnage, une riche héritière qui se lie d'amitié avec les deux héroïnes. À noter, Albin Michel a malheureusement choisi pour cette deuxième série de ne pas reprendre les couvertures anglophones - le dessin choisi est peu attirant.

«J'ai toujours été attirée par les années 20, dit Mme Godbersen. Une époque où tout était amusant, où il n'y avait pas de limite. Mais je voulais montrer qu'à un certain point, il faut se donner des règles personnelles, un code de conduite. La liberté à tout prix peut mener à énormément de douleur et avoir de sombres conséquences.»

La première série, elle, était une métaphore du high school. «L'Amérique victorienne avait toute une série de règles strictes régissant le comportement social. Le high school est en quelque sorte un miroir de cette époque. On apprend à être un individu dans la société, à vivre avec les pressions du conformisme, avec les conséquences néfastes de la transgression des règles sociales.»

A-t-elle vécu cette pression? «Non, pas du tout. J'ai grandi à Berkeley. Il y avait beaucoup de liberté, même à l'école. Mon père était chauffeur de taxi, mais il lisait énormément, il parlait avec des phrases complètes. Ma mère était peintre.»

Et la tension entre la liberté et les règles personnelles? «Je fais beaucoup de yoga et de méditation. J'ai eu une phase plus sauvage où j'ai largué les amarres. J'ai dû réapprendre à avoir une relation proche avec moi-même, à respecter mes propres besoins et opinions.»

Est-ce un avantage de ne pas faire partie de la vague de livres fantastiques pour adolescentes? «Je ne suis peut-être pas la meilleure écrivaine ni la meilleure penseuse, mais j'aime être la première à parler de ces époques à mes lectrices. J'ai le sentiment de les influencer dans leur vie et dans leurs choix. J'espère que ça va leur donner l'idée que le monde est plus grand que les sentiments qui les habitent en ce moment.»

L'une des héroïnes de jeunesse d'Anna Godbersen est Joan Didion (L'année de la pensée magique), dont l'oeuvre a marqué plusieurs intellectuelles américaines. Récemment, dans le magazine The Atlantic Monthly, la critique Caitlin Flanagan (que certains qualifient d' «anti-féministe» et d'autres de «néo-féministe») a publié un portrait dévastateur de l'oeuvre de Didion, lui reprochant notamment d'être restée accrochée à ses émois de jeune adulte et d'avoir négligé sa fille. Qu'en pense Mme Godbersen? «J'ai été dévastée en lisant l'article de Flanagan. Je ne l'aime pas et j'adore Didion; je me sens proche d'elle quand je la lis. Mais Flanagan a raison: il faut éviter de se regarder trop longtemps le nombril. C'est une leçon qu'on peut tirer de l'oeuvre de Didion. J'espère la garder en tête.»

_________________________________________________________________________

* * *

Tout ce qui brille. Anna Godbersen. Albin Michel, 372 pages.