Madeleine Ouellette-Michalska fait partie du paysage littéraire québécois depuis tellement longtemps qu'elle semble sans âge: cheveux blancs coupés court, yeux d'un bleu pâle translucide, toujours aussi belle à 82 ans. Il se dégage beaucoup de douceur de cette grande dame, auteure du roman à succès La maison Trestler au milieu des années 80, mais qui est active depuis la fin des années 60, autant du côté de la poésie que des essais et du théâtre.

Derrière cette douceur se cache quelqu'un de ferme, posé et réfléchi. Quelqu'un qui aime passionnément écrire, mais qui écrit aussi «pour poser des questions existentielles». «Je jette un regard sur le monde intérieur et extérieur, dit Madeleine Ouellette-Michalska. Je pose des questions sur le désir, la vie, la mort, la souffrance, la vieillesse.»

Il y a tout ça dans La Parlante d'outre-mer, né d'abord pour parler de l'opposition entre le vieux et le nouveau monde, le colonisateur et le colonisé. Une opposition incarnée par Édith, Française qui enseigne l'ancien français à l'Université de Montréal, et Christian, étudiant brillant entièrement tourné vers sa nord-américanité. Choc des cultures, fossé des générations, mais aussi fascination et attirance: cette rencontre fera des flammèches. «J'aime qu'il y ait un fond d'histoire et de réalité sociale derrière mes livres. On porte toujours une double mémoire: individuelle et collective, et le lien qui se crée entre ces deux personnages a à voir avec leur histoire personnelle, mais aussi avec le rapport entre la France et le Québec.»

Pour créer Édith, Madeleine Ouellette-Michalska s'est inspirée de profs qu'elle a connues à l'université, «des profs qui nous imposaient leur autoritarisme». Il était donc important de produire un effet de balancier avec Christian, qui viendra «réveiller l'inconscient d'Édith et révéler ses failles».

De son côté, le jeune homme renouera avec la mémoire de son pays, entre autres grâce à son lien avec ses grands-parents. «Il cherche à retrouver un passé qui n'est pas théorique, estime Madeleine Ouellette-Michalska. Je pense que le meilleur moyen de transmettre l'histoire aux jeunes, c'est qu'ils aient un lien affectif avec celle-ci.»

Pour adoucir la rigidité d'Édith et l'humaniser, l'auteure lui fait vivre un grand amour tardif - elle approche de l'âge de la retraite - avec un homme de son âge, bon, intelligent et aimant. «On est toutes un peu romantiques dans le fond», rigole-t-elle. Le désir survient ainsi au détour d'une scène, accompagné d'une réflexion sur le vieillissement. «Le désir, c'est toute la vie. Quand on ne désire plus, il vaut mieux se coucher et ne plus se réveiller.»

Avec ce livre où la sexualité chez les femmes d'âge mûr est abordée de front, Madeleine Ouellette-Michalska rejoint d'autres auteures - Andrée Ferretti, Brigitte Haentjens et Denise Boucher, pour ne nommer que celles-là - qui ont osé affronter ce tabou cette année. «C'est un préjugé de dire que le désir n'appartient qu'aux jeunes. En vieillissant, notre corps perd peut-être de sa pétulance, mais vieillir n'est pas une maladie. Ce n'est qu'une étape de notre développement.»

C'est la première fois, constate-t-elle, qu'elle parle de la vieillesse dans un roman. «La première fois que je suis lucide peut-être... Le personnage s'y prêtait, alors je suis sautée dans le bateau. Parce qu'on n'est pas toujours en train de penser à ça! Mais on rencontre toujours un miroir qui nous rend susceptibles d'y penser.» L'octogénaire n'aime pas beaucoup entendre parler du «tsunami gris» qui va faire fondre les fonds publics. «Dans cette société, les gens n'ont de valeur que lorsqu'ils contribuent à la production. La retraite a des aspects grisants, mais on nous rappelle souvent, de façon aimable ou brutale, que nous ne sommes plus utiles à la société.»

Elle, en tout cas, ne se laisse pas miner par ce discours ambiant. «Je n'aurais pas fait ce livre sinon.» Un livre où se retrouvent de nombreux thèmes qui lui sont chers, qui parle aussi de codes sociaux, d'histoire des femmes - Édith vient d'une famille ou les femmes devaient choisir entre le mariage et la vie professionnelle, et un passage sur un avortement clandestin est fort prenant -, de communication et de langage - «Quand on n'a plus le langage, on n'est plus rien, on n'a plus d'identité»- et de mémoire corporelle - «Ce dont on se souvient le moins est ce qui compte le plus dans nos vies».

Écrire reste ainsi une des principales passions de cette force de la nature. «Parfois, j'ai l'impression de rentrer en contact avec l'intelligence universelle. De dépasser mes limites, celles du temps, de l'espace, de mes imperfections et de mes qualités. J'atteins le plus profond, le plus vaste et le plus énergisant.» Manifestement, ça fonctionne.

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La Parlante d'outre-mer. Madeleine Ouellette-Michalska XYZ, 167 pages.