Une ultime lettre à l'homme perdu, écrite à Rome, avant le retrait des troupes dans cette guerre sans merci de la rupture amoureuse. Voilà ce qu'est Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage, un roman de Martine Delvaux où une femme s'arrache à l'amour comme un continent à la dérive.

Le coup de foudre est une belle cascade sans filet et sans garantie qu'on ne se fera pas mal. Impossible de connaître l'amour sans prendre ce risque, mais lorsqu'on se casse la gueule, il n'y a probablement pas pire souffrance, à part le deuil. C'est même une souffrance absurde, puisqu'il faut faire le deuil d'un vivant. À moins que ce ne soit le deuil d'une illusion à laquelle on tenait tant...

La narratrice des Cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage a connu le coup de foudre. Elle est québécoise, il est tchèque. Il a quitté son pays pour la suivre. Dès lors, la guerre a commencé, car il n'a pas voulu se soumettre à l'adage «qui prend épouse prend pays». À l'intérieur de ce couple, c'est l'affrontement permanent entre ce Nouveau Monde, qu'il méprise, et les vieux pays. Il est reparti. Elle souffre, et pour cesser de souffrir, elle doit couper tous les ponts, car la menace de succomber de nouveau est réelle, l'envahisseur étant trop présent malgré son absence.

Autopsie d'une relation

Cette lettre qu'elle écrit de Rome, c'est sa dernière arme. «C'est une lettre de l'après-rupture, explique Martine Delvaux. Elle dit tout ce qu'elle a sur le coeur. En même temps, c'est ce qui lui permet de faire l'autopsie de la relation, d'essayer de comprendre ce que c'est que l'expérience de la peine d'amour. J'ai voulu faire un roman à la fois très singulier, parce que c'est une histoire précise, et en même temps très universel, pour que les gens puissent se reconnaître. On l'a tous vécu, on a tous vu des gens autour de nous souffrir de la peine d'amour...»

La violence de cette lettre est à la mesure de la souffrance de la narratrice, qui prend ses distances à mesure qu'elle règle ses comptes. Martine Delvaux, professeure de littérature à l'UQAM depuis une quinzaine d'années, a fait sa thèse de doctorat sur la folie des femmes, le plus souvent mise en discours par les hommes. On ne s'étonne donc pas que, dans ce roman, ce soit une femme qui parle, alors que l'homme est muet - il fait presque figure de fantôme, il disparaît sous nos yeux.

«Elle essaie de mettre de l'espace entre les deux corps, en découpant en morceaux la relation, en l'objectivant, en faisant une sorte d'autopsie de ce qui s'est passé entre eux, note Martine Delvaux. Ce qui m'intéressait, c'était d'aller au fond des logiques jusqu'à leurs extrêmes. Le coup de foudre ou l'amour fou, ce n'est pas loin de la psychose, comme disait Freud ou Jung. On devient fou d'amour. Les gens sont avalés l'un par l'autre. Une fois que c'est fait, comment on fait pour re-séparer les corps?»

On voyage, peut-être. Les lieux, dans les romans de Martine Delvaux (C'est quand le bonheur?, Rose Amer), sont importants. «Dans ce cas-ci, dit-elle, c'est une guerre nationale, au sens où des pays sont en jeu. Montréal comme port d'attache, Rome comme lieu de la réparation et de la guérison, ce conflit entre l'Amérique et les vieilles cultures européennes. Elle dit que son appartement était devenu les plaines d'Abraham...»

Syndromes et romantisme

On a envie de lui demander pourquoi l'Italie console si bien les femmes en peine d'amour, après les succès de Mange, prie, aime ou de Sous le soleil de Toscane... «Je pense que c'est un lieu qu'on associe à la renaissance. Rome est une ville que j'adore, lumineuse, pleine de couleurs, tout est d'une telle beauté qu'on n'arrive pas à la prendre à l'intérieur de soi. Il y a deux syndromes dans le roman, le syndrome de Stockholm et le syndrome de Stendhal! Rome finit par prendre la place de l'homme qu'elle a perdu.»

C'est aussi les vestiges d'un empire disparu, qui porte les traces violentes de l'Histoire, inspirant la narratrice dans ses métaphores guerrières. À Rome, elle est comme Daphné se transformant en laurier pour fuir Apollon...

Martine Delvaux se décrit comme une grande romantique et aussi une grande voleuse. Pour ce roman, elle a puisé dans ses expériences personnelles, mais aussi dans celles de son entourage - rien de plus universel que la douleur amoureuse, qui nous rend semblables dans la souffrance. «Je ne suis pas prête à jeter l'amour par la fenêtre, dit-elle en riant. L'amour pour toujours, je ne sais pas. On est en conflit avec ça. Je regarde autour de moi, nous sommes de nombreuses romantiques qui restons fidèles à cet idéal qu'on nous a mis dans le biberon. Même si nous avons envie de changer le modèle du couple, nous restons pris entre deux chaises...»

Les cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage

Martine Delvaux

Héliotrope, 170 pages