À 3 mois, elle participait déjà à son premier concours de beauté (qu'elle a gagné). À deux ans, elle donnait ses premiers shows sur le balcon familial de la rue King Est, à Sherbrooke, et si d'aventure, les passants ne lui envoyaient pas la main, elle se déshabillait morceau par morceau et lançait ses vêtements et parfois même sa couche par-dessus la rampe, pour attirer leur attention. À 4 ans, elle a fait sa première apparition sur scène à la fin d'un spectacle de son père. À 9 ans, elle enregistrait son premier 78 tours.

Poupée préférée de sa mère, petit toutou de son père Ti-Blanc Richard, Michèle Richard n'a jamais choisi de faire de la scène. Elle y a été propulsée pratiquement dès sa naissance. Et même si ce n'était pas sa décision, elle ne l'a jamais regretté. C'est ce qu'elle affirme à la fin de Dressée pour être star, une biographie publiée aux Éditions La Presse et en librairie demain, qui couvre les 65 ans de sa vie très publique, de sa carrière artistique, de ses amours avec Denis Pantis, Pierre Lalonde, Guy Cloutier, Tony Roman, Claude F. Archambault et Yvan Demers, et dont le but avoué est de devenir un scénario de film.

L'idée d'un film lancée par la productrice Denise Robert est d'ailleurs la seule et unique raison pour laquelle Michèle Richard a accepté de se livrer à Benoît Gignac, pendant un an, à raison de six heures par semaine.

«Une bio pour une bio, ça ne m'intéressait pas. J'ai déjà tout dit. Mais le kick d'un film, par contre, ça, ça m'excitait et comme pour qu'il y ait un film il fallait qu'il y ait un livre avant, j'ai accepté de tout raconter sans rien cacher. De toute façon, je n'ai rien à cacher», m'affirme-t-elle dans un hôtel du Vieux-Montréal, où elle est arrivée maquillée et coiffée comme pour un spectacle. Pas de doute: celle que je rencontre aujourd'hui n'est pas la Michèle privée, éternelle célibataire aux histoires d'amour foireuses, qui vit seule avec son chien et qui a payé cher le prix de sa liberté. Non, celle qui est assise en face de moi avec ses bijoux, ses mules en léopard et ses boucles blondes savamment en bataille, c'est la Richard dans toute sa splendeur. L'énergie collée au plafond parce que, dit-elle, il ne lui reste que 15 ans à vivre et que, d'ici là, elle entend mettre les bouchées doubles; elle déborde d'un enthousiasme presque juvénile.

«Je ne regrette rien»

Pourtant, la bio qu'elle est sur le point d'offrir à ses fans et qu'elle a relue trois fois n'a rien de très rigolo. C'est l'histoire dure et assez triste d'une femme qui n'a pas eu d'enfance, dressée et drillée dès son plus jeune âge pour plaire, petite fille qui n'a jamais connu les fêtes d'enfants, les virées en vélo après l'école, et qui, malgré son statut d'enfant unique, partageait toujours sa chambre avec une bonne, une chanteuse de la revue de son père, ou des caisses de produits dérivés que ce dernier faisait venir d'Asie pour vendre après ses spectacles.

«Mon père ne voulait tellement pas que je fasse ce métier-là. Il était prêt à me payer des études, mais c'est ma mère qui me poussait. C'est elle qui m'a dit de ne pas avoir d'enfants ni de fonder de famille parce que c'était incompatible avec ce métier-là. Elle a eu raison sur toute ligne», laisse-t-elle tomber avec une docilité un brin paradoxale. Paradoxale parce qu'elle avouera dans le même souffle que sa vie, en fin de compte, a été une vie de chien. C'est moi qui ai osé l'expression vie de chien, en raison des nombreux chiens qui lui ont servi de compagnons et dont elle refusait de se séparer, décrétant «pas de chien, pas de show». Et comme, en plus, son père lui avait donné le sobriquet de Puppy, et que dans le titre de la bio il y a le mot dresser, l'image du chien est une figure capitale et récurrente de la vie de Michèle. C'est pour ça que je l'ai lancée dans la conversation. J'étais convaincue qu'elle allait protester ou crier à l'insulte. Mais non.

«C'est vrai. J'ai vécu une vie de chien, une vie d'esclave, une vie de gitane. Toujours au service des autres, toujours obligée de plaire. À me promener d'une ville à l'autre et à revenir à minuit, rien dans le frigo et personne à la maison. Sauf que je ne regrette rien. Si c'était à refaire, je referais tout exactement de la même façon». Paradoxale, vous avez dit?

Il y a une semaine, en prévision du tourbillon médiatique qui l'attendait, la chanteuse a pris quelques jours de repos. Elle n'est pas allée à New York, Las Vegas ou dans un spa au fond d'une forêt. «Je suis allée à Walt Disney World. J'y vais régulièrement pour essayer tous les nouveaux manèges. Quand je suis là-bas, j'ai 12 ans, comme si je cherchais à rattraper l'enfance que je n'ai pas eue. Toute ma vie, dans le fond, je l'ai vécue à l'envers du monde ordinaire et de la vie normale, mais j'en ai toujours assumé les conséquences.»

Dans cinq ans, Michèle Richard aura 70 ans et se prépare déjà à fouler le tapis rouge à la première d'un film sur sa vie en cinémascope. Le film sera peut-être triste, mais il se terminera bien avec la star et son chien qui disparaissent, auréolés de gloire, dans le soleil couchant.