Olivier Bessard-Banquy, spécialiste de l'édition contemporaine et enseignant à Bordeaux, est formel: «Quand on aime les textes, on aime Gallimard. On aime aussi d'autres maisons, mais Gallimard vient en premier lieu.» Collaborateur au catalogue de l'exposition Gallimard à la Bibliothèque nationale de France, à Paris, il a eu le rare privilège d'accéder aux archives de la maison de la rue Sébastien-Bottin. «Il y a une tradition du secret, car Gallimard veut garder le contrôle sur son image, conserver son prestige», reconnaît-il. Correspondances, notes du comité de lecture, «le fonds patrimonial est énorme».

De ce que les fondateurs de la NRF, André Gide et Jean Schlumberger notamment, voulaient un «comptoir d'édition» réservé aux happy few, Gaston Gallimard, fin lettré, dandy amateur de théâtre et de femmes, fit à partir de 1911 un projet commercial. «Dans les correspondances, on découvre un Gaston Gallimard en train de se former, un homme qui sait poser des questions et prendre, à chaque fois, les bonnes décisions», raconte Bessard-Banquy.

Pendant l'Occupation, il opte pour «le moindre mal», qui sera de nommer Drieu La Rochelle, collaborateur, à la tête de la NRF. «Il fallait trouver un modus vivendi, il devait faire vivre des centaines de personnes», défend Olivier Bessard-Banquy, évoquant cette période sombre. Après la guerre, Gaston sera inquiété, mais saura convaincre de sa bonne foi.

Ses successeurs, Claude et Antoine (qui dirige actuellement la maison) seront aussi des «managers très doués», faisant, à chaque époque, faire un bond spectaculaire à l'entreprise. Claude en créant le réseau de diffusion et de distribution et Antoine en évitant l'émiettemant du capital.

Désormais, une bonne part de la richesse de Gallimard provient de la division Jeunesse - c'est Gallimard qui publie la série «Harry Potter» en français - et Olivier Bessard-Banquy rappelle que «les livres qui ne se vendent pas, c'est la majorité. Sur dix livres publiés, cinq font perdre de l'argent.»

Existe-t-il un style Gallimard immuable? «Gallimard publie ce qui peut se vendre tout en étant d'une certaine tenue littéraire, résume le chercheur. L'esprit de la NRF, c'est que la littérature n'est pas une, mais multiforme.»

La maison est aussi connue pour ses «ratages», celui de Proust, refusé pour le premier volume de la Recherche, restant le plus flagrant. Dénicher les auteurs, «chouchouter les stars» de la maison sont les rôles dévolus au comité de lecture, autrefois constitué des Camus, Malraux ou Queneau, aujourd'hui de Le Clézio, Sollers ou Kundera.

Le travail d'éditeur, «c'est autant la science de la publication que celle de la promotion» et Gallimard possède ce «génie commercial», admire Olivier Bessard-Banquy. Ce fut la publication d'Autant en emporte le vent, de L'amant de Lady Chatterley, ou la récupération de Philippe Djian pour attirer un public de romans «américanisés».

Auteur de La vie du livre contemporain, Olivier Bessard-Banquy estime que «la grande littérature devient de plus en plus l'apanage d'un petit nombre». «Désormais, les manuscrits sont repris, traficotés», déplore celui qui fut aussi éditeur. «Si un manuscrit est trop littéraire, on le récrit selon le public ciblé, que ce soit le prof de lettres, le bobo parisien, la bourgeoise de province...» Des éditeurs doués, selon lui, mais «qu'on ne nous fasse pas croire que c'est l'amour des lettres qui les porte». Dans cette culture du divertissement, Gallimard se classe à part, grâce à son indépendance vis-à-vis des grands groupes financiers. «Ils ont su vendre autrefois, ils continuent de le faire», mais avec cette exigence forte, celle d'«incarner la littérature».