La Crise des années 30, temps de misère et de pauvreté qu'a si bien chantés la Bolduc, a largement dépassé la dimension économique à laquelle le souvenir populaire - et certains historiens - l'a réduite.

Au-delà du chômage et de l'écrasement du produit intérieur brut, la Crise a eu des incidences politiques, sociales, intellectuelles et religieuses. Dans La modernité au Québec - 1. La Crise de l'homme et de l'esprit, l'historien Yvan Lamonde décrit comment le Québec s'est alors vu engagé dans un combat pour la modernité, comprise ici comme «conscience générationnelle» du temps.

Cet ouvrage - d'une nécessaire densité mais dur à lire par bouts à cause des innombrables citations - s'inscrit dans une suite commencée avec les deux tomes de Histoire sociale des idées au Québec 1760-1896 et 1896-1929 (Fides, 2000 et 2004); quand le deuxième tome de La modernité (1940-1965) aura paru, «l'entreprise sera une généalogie de ce qu'on a confusément et paradoxalement appelé la «Révolution tranquille» «, une époque-idée que M. Lamonde n'a de cesse de démythifier.

Si la révolution est «la révision active de toutes les valeurs», le Québec de la Crise y semble déjà engagé. L'effondrement économique a fait voir les limites du capitalisme, un système où les «trusts» - dénoncés violemment... en même temps que les juifs - font copain-copain avec le pouvoir politique. Le communisme, athée, représentant l'ennemi à abattre, les Canadiens français cherchent une troisième voie que certains croient avoir trouvée dans le corporatisme où, comme au Moyen-Âge, les corps de métier s'entendent avec les patrons. À l'intérieur d'un système contrôlé par un pouvoir central fort. Comme, alors, Mussolini en Italie, Salazar au Portugal et, éventuellement, Franco en Espagne.

Ici, on a Maurice Duplessis, élu en 1936 sous de fausses représentations nationalistes alors que, sous l'influence de penseurs (catholiques) français comme Jacques Maritain, André Laurendeau - «le penseur civique le plus articulé de sa génération» - et d'autres tentent d'établir clairement des distinctions nouvelles. Entre l'action nationale et l'action catholique - où les laïcs commencent à s'imposer -, entre le spirituel et le religieux, entre le catholicisme et la droite politique, entre le patriotisme et le nationalisme, approche aux multiples mouvances dont la figure emblématique reste le chanoine Lionel Groulx, auteur de Notre maître, le passé (1924-1937).

Le champ des idées du temps est vaste, comme la galerie de personnages - Jean-Charles Harvey, le père Lévesque, Saint-Denys Garneau - qui animaient les débats dans ce Québec rendu au seuil de la modernité mais toujours aux prises avec «l'hégémonie du passé».

La modernité au Québec La Crise de l'homme et de l'esprit 1929-1939

Yvan Lamonde

Fides, 323 pages

****