Quand elle avait 14 ans, Esther Rochon a décidé d'apporter sa contribution à l'humanité.

«J'en avais assez de profiter du monde sans donner quelque chose moi aussi», explique l'auteure de science-fiction, en entrevue dans son appartement de Hampstead. «J'ai fait la seule chose qui était à ma portée: j'ai commencé à écrire une histoire.» Quarante ans plus tard, le résultat de cette entreprise de jeunesse a une seconde vie. Le cycle de Vrénalik, la trilogie qu'elle a entamée à l'adolescence, a été publiée entre 1974 et 1990. La maison Alire, qui publie maintenant Mme Rochon, vient de ressortir les trois tomes. Le dernier, La dragonne de l'aurore, vient d'arriver en librairie.

La science-fiction a la vie dure au Québec. Les trois premiers éditeurs de Mme Rochon ont fermé leurs portes après un seul ouvrage publié chez chacun d'entre eux. «Au Québec, on considère souvent que la science-fiction s'adresse aux jeunes, dit Mme Rochon. Quand je suis invitée dans les écoles, les élèves me demandent souvent pourquoi je n'écris pas des livres pour eux. Je leur réponds que j'écris pour les adultes. Mais visiblement, ils aiment assez ça, puisqu'on me réinvite.»

 

Peut-être à cause de sa fascination pour le bouddhisme, qui est très claire dans le Cycle de Vrénalik, Mme Rochon ne se formalise pas d'être classée dans la mauvaise catégorie. De même, elle a accepté sans hésiter de remanier la trilogie, allongeant les deux premiers tomes, et coupant 70 pages au troisième. «Ça ne change rien à l'histoire, dit-elle. J'ai simplement enlevé des réflexions qui avaient vieilli. On est à une ère où l'intrigue doit procéder plus rapidement. Je m'adapte.»

Enfance entourée de célébrités

Née à Québec de parents artistes - son père était compositeur et sa mère, scénariste -, Esther Rochon a grandi entourée de célébrités comme Jean-Paul Lemieux et Anne Hébert. À l'université, elle a étudié les mathématiques, un milieu «extrêmement amusant», décrochant une maîtrise, puis elle a eu deux enfants. À son retour au travail, elle n'a pas trouvé de poste de prof de maths à Montréal, et a décidé de renouer avec la littérature. En 1964, elle avait remporté, en même temps que Michel Tremblay, un concours d'écriture de Radio-Canada.

La science-fiction l'intéresse depuis qu'elle est toute petite. «J'étais une lovecraftienne», dit-elle, en référence à l'auteur de science-fiction américain H. P. Lovecraft. Ses parents ayant souvent déménagé, elle a dû s'imaginer un univers personnel pour compenser les ruptures continuelles de ses amitiés d'enfance. «Je pense que plusieurs romanciers ont le même itinéraire, ça forge l'imagination», estime-t-elle. À partir de 9 ans, elle a habité Mont-Royal, ville où elle a planté l'action de son roman La rivière des morts, paru en 2007. «C'est le seul roman québécois qui se passe à Mont-Royal», dit-elle avec amusement.

Ses romans puisent aussi dans son intérêt de jeunesse pour les films d'horreur britanniques de la Hammer, qu'elle allait voir les vendredis après-midi au cinéma. «Quand j'ai rencontré Michel Tremblay, on s'est rendu compte qu'on aimait les mêmes films d'horreur», relate-t-elle.

Modèle de société bouddhiste

Le bouillonnement d'idées des années 60 l'a-t-elle aussi marquée? «Oui, c'était incroyable. Je n'y ai pas directement participé, mais je m'informais beaucoup.» Son itinéraire l'a toutefois menée au bouddhisme. La société très évoluée que les héros du Cycle de Vrénalik rencontrent est directement inspirée de milieux bouddhistes qu'elle a fréquentés ici et aux États-Unis.

Au moment de l'entrevue, elle était d'ailleurs sur le point de partir un mois en retraite. Quand La Presse lui a demandé, en fin d'entrevue, si elle avait quelque chose à rajouter, elle est revenue sur le modèle de société bouddhiste décrit dans ses livres.

«Pour moi, c'est une société qui fonctionne bien. J'ai d'ailleurs demandé à mon éditeur que la carte publiée avec le livre ne soit pas comme c'est le cas d'habitude dans les livres de fantasy, avec des dragons dans les montagnes et des sirènes dans la mer. Je voulais que ce soit une utopie avec un aspect réaliste.»

La dragonne de l'aurore

Esther Rochon

Alire, 461 pages, 15,95$