Comparée à Gaston Miron mais aussi à Josée Yvon, la poète Catherine Lalonde s'est taillée une place de choix dans le cercle des poètes québécois. L'auteure, qui lançait cette automne un troisième titre poétique, Corps Étranger chez Québec Amérique, a de qui tenir. Fille d'éditeurs (Loup de gouttière), Catherine Lalonde baigne dans la littérature depuis toujours. « J'ai toujours été entourée de livres dans une famille où la lecture et l'intelligence du texte sont très valorisées, confirme-t-elle. Une intelligence qui est, oui, différente de l'intelligence académique. «

La poète avoue d'ailleurs avoir peiné sur Corps Étranger, oeuvre qui se lit comme une fascinante partition de piaffements obstinés. La préface, signée par Nancy Huston, en souligne d'ailleurs la sourde violence. « Je suis surprise par la dureté de mes écrits, confie Lalonde, et ça me déroute parce que ce n'est pas ça que j'aurais envie de léguer. Mais je n'y peux rien, c'est ce qui sort de moi. «

 

Il suffit de parcourir ses mots mâchés à pleines dents pour se convaincre que l'auteure, qui a une formation en danse, a un talent frappeur. De ceux qui nous laissent K.O. « Je me suis lancée dans la littérature à seize ans avec une désinvolture incroyable, avoue Lalonde qui cumule dès ses premiers écrits de jeunesse moult prix. Ça m'apparaissait si facile et j'écrivais avec tant de candeur... Je peux me permettre de le dire parce qu'aujourd'hui, ça ne marche plus! lance-t-elle en riant. En voulant maintenant suivre quelque chose qui me ressemble, en prenant une voix moins facile, j'écris par le fait même des choses moins accessibles. «

Le mot est lancé. La poésie n'est pas accessible aux yeux de beaucoup de lecteurs qui n'hésitent pourtant pas à plonger dans de denses romans. Qu'en penser? « C'est une grosse question « souffle Lalonde. Tout d'abord, je remarque que les poètes semblent devenir « accessibles « dans la tête des gens lorsqu'ils deviennent célèbres. Par exemple, personne n'oserait dire que les poèmes de Nelligan ne sont pas accessibles. C'est aussi le cas de Miron, dont le grand public connaît mieux les textes aujourd'hui grâce aux chansons de Chloé Sainte-Marie. Pourtant, ces poèmes ne sont pas moins exigeants. Seulement, les gens ont moins peur de ces auteurs-là, ils ne les considèrent pas comme d'étranges bibittes. «

L'oralité

La poète participe régulièrement à des événements performatifs comme le Festival Voix d'Amériques puisque l'oralité reste pour elle une façon de rejoindre les gens. « Il est rare qu'un poète sache habiter une scène, déplore-t-elle. Plusieurs poètes considèrent d'ailleurs l'oralité comme un défaut parce qu'à leurs yeux, ça devient un travail de recherche de moindre importance. Le slam n'a peut-être pas aidé parce qu'il est rarement poétique, quoique je crois au travail du slameur. La poésie comme la danse contemporaine est un art de recherche qui englobe très large et qui n'est justement peut-être pas assez subdivisé.»

Le passage obligé pour aborder la poésie serait donc de prendre le risque d'être déçu? « Exactement, répond Lalonde avec aplomb. Ce qui m'attriste, c'est que nous avons perdu la curiosité face aux objets plus difficiles d'accès. Nous sommes fortement intoxiqués par l'esprit de la télévision qui nous permet de zapper dès le moment où on s'emmerde. Bien sûr, rien ne nous empêche de fermer un livre de poésie après trois pages d'ennui mais il faut en ouvrir un autre! Parce qu'il est certain qu'il y en aura un qui va nous parler. Nous avons des devoirs de citoyen mais aussi des devoirs de curiosité, des devoirs d'intelligence... «

Corps étranger

Catherine Lalonde

Québec Amérique, 125 pages, 18,95$

**** (quatre étoiles)