L'artiste Lino, connu du grand public grâce à ses illustrations pour l'Opéra de Montréal ou le Théâtre de Quat'Sous, clôt aux Éditions 400 coups une magnifique trilogie picturale et philosophique.

Ce sont de véritables oeuvres d'art que ces livres graphiques de l'artiste Lino, qui allie les mots aux couleurs. Ce qui était au départ un carnet intime et personnel pour l'artiste - l'éditeur a d'ailleurs conservé les ratures -s'est mué en fascinante trilogie dont la conclusion, préfacée par un Dany Laferrière admiratif, a été lancée cet automne sous le titre La chambre de l'oubli. «Mon parcours étant en art visuel, c'est par la pratique plastique que les mots ont surgi», explique Lino, dont l'émergence de phrases au sein de ces imageries à la Basquiat a magnifié le travail. «Ce projet a réveillé en moi un désir d'écriture que j'avais mis de côté.»

 

Le triptyque, qui compte également le titre La saveur du vide et L'ombre du doute, explore les possibles invisibles du corps humain. Lino fore la chair, espérant qu'en jaillisse une essence inconnue et impalpable. «Le corps est l'enveloppe visible. Il est l'unique point de convergence de tous ces aspects qui m'intéressent, l'esprit, l'âme... affirme l'artiste. Il est aussi un incontournable aujourd'hui, dans une ère où l'on s'en sert pour refléter un produit. Or, j'ai tenté de l'investir d'une autre façon, plus intérieure.»

Éminemment philosophiques, chargés de la quête existentielle de l'auteur, les trois livres graphiques brossent également un tableau général d'une société en perte de spiritualité. Les hommes de science y sont d'ailleurs de terrifiants prophètes. «Ce sont les hommes de science qui, aujourd'hui, donnent un sens à l'univers ou à l'existence, soutient Lino. On marginalise d'ailleurs beaucoup les artistes parce que ce sont des êtres irrationnels. Alors que pour moi, la science réduit l'être humain à une valeur logique qui me terrifie.»

Au bout de la nuit

Cette incursion dans les peurs collectives se révèle un contrepoids frappant de notre société qui privilégie le rire et la légèreté. «Le sombre, l'échec, est beaucoup rejeté aujourd'hui, souligne l'artiste. C'est l'idéologie lumière qui prévaut. Normalement, il devrait y avoir une juste balance entre les deux, ce qui m'apparaît plus rassurant. Je trouve que vivre constamment dans un monde lumineux est potentiellement plus dangereux que de savoir marcher dans des forêts sombres, parce que le jour où les gens devront entrer dans la forêt, ils seront complètement démunis.»

Malgré son écho ténébreux, cette trilogie de Lino attire pourtant l'oeil autant que l'esprit curieux. Un fait qui ravit l'artiste. «Je n'aime pas l'art qui ne s'adresse qu'aux initiés, confie-t-il. L'art a la qualité de pouvoir être universel. C'est important pour moi qu'un adolescent puisse ouvrir les albums et s'y retrouver tout comme un adulte ou une personne âgée. Et ce qui me fascine encore plus, c'est qu'ils n'y lisent pas la même chose.»

L'artiste, satisfait de cette nouvelle voie, affirme vouloir continuer l'expérience de la littérature qui lui a permis, ici, d'explorer plus en profondeur certaines idées. «À force de déconstruire le monde qu'on nous présente, je me sens de plus en plus vivant, admet-il. En me créant un monde à l'extérieur du monde, je me façonne un espace où je peux respirer.» Car Lino continue de refuser - corps et âme - la vision de surface qu'on nous propose. «Il est impossible que toute l'histoire de la pensée ne nous ait amenés qu'à travailler comme des bêtes sans réfléchir.»

La chambre de l'oubli

Textes et illustrations de Lino

Les 400 Coups, 140 pages, 34,95$

Suite de La saveur du vide et L'ombre du doute chez le même éditeur

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