Professeur de sociologie au cégep Saint-Laurent, Vincent Paris a transformé un intérêt personnel en petit manuel de base pour ceux qui ont envie d'un regard sociologique sur le phénomène des zombies, extrêmement populaire, notamment auprès de ses propres étudiants! Saviez-vous que le zombie est une créature très bénéfique pour la société?

Q : Vous écrivez que la sociologie ne s'est pas encore penchée sur le phénomène des zombies. Pourquoi, à votre avis?

R : Mon idée, c'est qu'il s'agit peut-être d'un réflexe des années 60. En sociologie, on ne parle généralement que des grandes choses - et je ne dis pas ça d'un point de vue péjoratif - comme la mondialisation, les mouvements sociaux, les rapports entre l'État et l'individu, etc. Comme si on sous-estimait les petits détails. Et le zombie est un petit détail, mais assez gros finalement une fois qu'on est dedans!

Q : On dit souvent que le personnage du zombie prend racine dans la culture vaudou, mais vous dites que le mort-vivant est enraciné beaucoup plus loin dans la culture occidentale, jusqu'à la Bible, en fait.

R : Oui. Des morts qui reviennent parmi les vivants, de mon point de vue, ça vient de la Bible judéo-chrétienne. Dans les textes d'Ézéchiel en particulier, lorsque Dieu lui dit: «Souffle sur les morts et ils vont revivre»... Le zombie haïtien ne vient pas d'un risque, mais d'un sort. Dans l'Ancien Testament, si on remplace le mot «dieu» par «virus», on a le zombie moderne. Les morts qui sont devant Ézéchiel, c'est un peu n'importe qui et tout le monde à la fois, il n'y a pas vraiment de personnages impliqués, pas de grandes vedettes comme Jésus! Cet aspect démocratique et inclusif, on le retrouve dans le zombie moderne. Tout le monde peut être atteint d'un virus, tout le monde est à risque.

Q : Tout ce qui compte chez le zombie, c'est le nombre. C'est le collectif qui vous intéresse?

R : Oui, mais il faut faire attention, le zombie n'a rien de sociable. Pour avoir une forme de sociabilité, il faut une conscience, et le zombie n'a pas de conscience. Le zombie, c'est l'ennemi social numéro un. Il n'y a pas de société ni de communication chez les zombies. Ce qui est important, c'est: qu'est-ce qu'on fait quand les zombies sont là? Là, ça devient intéressant. Parce que là, on s'organise, on se regroupe, on devient rationnel et il y a même des questions éthiques qui émergent qu'on n'aurait pas à se poser avant leur arrivée. Le zombie attaque l'environnement et la reproduction de la société, c'est-à-dire l'être humain. De mon point de vue, c'est le récit eschatologique le plus effrayant par excellence.

Q : Vous écrivez d'ailleurs que si le phénomène des morts-vivants est si populaire aujourd'hui, c'est «parce qu'il offre le scénario de fin du monde à la fois le plus improbable et le plus efficace», et que de ce point de vue, il est «fonctionnel sur le plan social».

R : Oui, exactement comme le récit de l'Apocalypse, qui mettait en scène une possibilité de fin du monde qui, paradoxalement, n'empêche en rien la reproduction de la société. D'un certain point de vue, ça permet à la société de s'immuniser contre ses propres risques. Comme si le zombie en tant que tel était à la fois le virus et le système immunitaire de la société. Moi, je trouve ça extrêmement positif! Contrairement à d'autres analyses, je ne vois pas dans les films de zombies ou dans les gens qui se déguisent en zombies pour fêter dans les rues quelque chose de symptomatique. Au contraire, je me dis que la société crée un problème virtuel pour assurer sa propre reproduction!

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Zombies, sociologie des morts-vivants. Vincent Paris. XYZ, 155 pages.