Fini, le tourisme géopolitique pour Guy Delisle. Le bédéiste québécois, primé à Angoulême pour ses divertissantes et éclairantes Chroniques de Jérusalem, pose désormais son regard amusé sur sa relation avec ses enfants dans un Guide du mauvais père, qu'il ne faut surtout pas suivre comme mode d'emploi.

Un papa promène fiston en poussette, l'air débonnaire, sous le regard de deux gardes armés postés devant un mur surmonté de barbelés. Guy Delisle a consacré plusieurs albums à ses séjours en Asie ou en Israël, où il pratiquait une forme de tourisme géopolitique décalé. L'image placée en couverture de ses Chroniques birmanes rappelle que ces régimes parfois dictatoriaux, il les a quelquefois visités avec un marmot dans les bras.

Son rôle de père, qui lui inspire des planches ou des albums entiers depuis Louis au ski (2006), est aujourd'hui le sujet du Guide du mauvais père, en librairies lundi prochain. Rien dans ce recueil ne tient du mode d'emploi, même malicieux. Il s'agit d'un recueil d'anecdotes parentales politiquement incorrectes rappelant les Chroniques d'une mère indigne, avec un papa dans le mauvais rôle.

Guy Delisle a commencé à explorer cette voie dans son blogue, en y publiant une ou deux histoires. «J'ai eu beaucoup de feedback de parents qui vivaient un peu la même chose, raconte-t-il. Je trouvais ça le fun. Je me sentais moins seul.» Plus engagés dans l'éducation des enfants, les pères ont désormais besoin d'une soupape pour évacuer leurs frustrations, selon le bédéiste. «Dessiner ces petites histoires a été un exutoire», dit-il.

«Quand on voit les autres avec leurs enfants et que, nous, on n'en a pas, on dit: moi, je vais être plus cool, je vais mettre les pieds sur la table, je vais faire le rigolo», signale-t-il. La réalité rattrape tous les papas: il faut parfois des semaines pour désapprendre ce gros mot qu'on a lâché un peu exprès... sans trop songer au plaisir délicieux qu'auraient nos petits à le répéter pendant des jours. Surtout quand il ne le faut pas.

Papa n'a pas raison

«Ça peut être assez frustrant de toujours être bien clean, a constaté le bédéiste. Là-dedans, je me permets de ne pas l'être autant. C'est une frustration qui est entre les lignes, d'une certaine façon.» Page après page, il détourne des détails de son quotidien de papa en osant dire ou faire ce que chaque père sait pourtant qu'il ne doit pas faire. Comme inviter son fils à boxer plus fort sur le sac de sable en lui disant d'imaginer que c'est sa petite soeur...

«Je voulais que le lecteur ait une espèce de plaisir coupable», admet l'auteur. Qu'il mente à son fils ou qu'il feigne de s'intéresser à ce qu'il fait, Guy Delisle se moque surtout du père qu'il est à travers le prisme déformant de l'autofiction dessinée. Ce double qui lui ressemble et qui regarde le monde avec un détachement amusé est «devenu un personnage», convient-il.

Ce premier tome du Guide du mauvais père (au moins deux sont prévus) laisse très peu de place à la figure de la mère. Elle pourrait devenir plus présente, si sa présence peut enrichir les histoires... et si la compagne de Guy Delisle accepte de jouer le jeu. «Je peux me mettre dans une position pas trop glorieuse et je l'assume, assure le créateur, mais je n'ai pas nécessairement envie d'impliquer les autres.» Sauf ses enfants...

Le bédéiste le dit sans le dire: son Guide du mauvais père, c'est aussi un ouvrage qui s'inscrit joyeusement contre les ouvrages de spécialistes des petits comme Françoise Dolto. «C'est passionnant, ça donne des pistes de réflexion importantes, reconnaît-il. Mais un Guide du mauvais père pour relaxer, c'est pas mal aussi!»

Pyongyang au grand écran

La nouvelle de l'adaptation cinématographique de Pyongyang, deuxième titre du cycle de ses «chroniques» inspirées de séjours à l'étranger, a pris Guy Delisle par surprise la semaine dernière. «Je l'ai appris comme tout le monde, par l'internet», assure-t-il.

Le bédéiste savait bien sûr qu'un tel projet était dans l'air, puisqu'il a signé une «option» avec l'entreprise de Gore Verbinski (Pirates of the Caribbean) l'été dernier. «Mais ça n'explique pas la forme que le film va prendre», dit l'auteur, qui ne saurait dire si l'oeuvre cinématographique inspirée de son livre sera réalisée avec des acteurs ou plutôt en dessin animé.

Ce flou ne l'inquiète guère. Il précise qu'il n'aurait eu aucune envie de participer à un projet de film hollywoodien. «Signer avec les Américains, c'est comme pousser sur un bateau: eux l'attrapent et le font naviguer où ils veulent, dit-il. Moi, ça me va qu'ils fassent ce qu'ils veulent.»

Pyongyang ne sera que le point de départ de l'éventuel film, croit Guy Delisle. «J'ai vu un synopsis et dedans, ça s'écarte déjà pas mal de ce que j'ai vécu là-bas, raconte-t-il. Le protagoniste se faire accuser d'espionnage par le régime nord-coréen. Alors ça chauffe un peu, j'imagine...»

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Le guide du mauvais père. Guy Delisle. Delcourt, collection Shampooing, 192 pages. En librairie le 11 février.