Empruntant à l'esthétique cyberpunk, Vos voix ne nous atteindront plus, premier roman de Julien Guy-Béland, nous offre une virée hallucinée dans un monde contaminé et même transformé par les complotistes et la paranoïa généralisée.

Ce n'est pas pour rien que l'auteur dédie son livre «aux entités que fabrique la peur» et les fuckés tapis dans le dark web ont peut-être plus d'influence qu'on ne le croit sur notre réalité (on cite le Pizzagate dès le début).

Le roman est écrit à la première personne du pluriel, choix narratif plus ou moins utile qui ne fait qu'entretenir la confusion, jusqu'à ce qu'on comprenne que ce «nous» ou ce «on» qui parle est une fille au prénom unique, Jeandeleine, et qui, contre toute attente, s'est fait voler ce prénom absurde par une hackeuse chasseuse de pédophiles à la fin des années 90 - le seul élément excitant de sa vie morose, avec un chum qu'elle n'aime pas. «Réinventer le désir... s'investir dans des projets communs... Fuck it. L'incompatibilité de nos existences envenime notre couple. Notre couple envenimé rend la vie plus toxique. Suffirait de se laisser, mais pas capables. Avons très peur de la solitude, mais supportons pas vraiment le coeur de l'autre.» On comprend que Jeandeleine abrite en elle un spleen inguérissable.

Ce vol d'identité sera le déclencheur d'une violente dérive pour celle qui vogue, comme une «loque en cavale», du quartier Hochelaga jusqu'à Los Angeles, après l'assassinat du chien de sa proprio dont elle avait la garde et le meurtre de son chum par un réseau de gens qui croient tenir enfin la hackeuse qu'elle n'est pas. Cette méprise sert sa fuite à L.A., où un type lui paie un billet d'avion pour venir surveiller une «date» d'un soir. Elle erre de partys en hôtels et en musées, sans semer ce réseau de complotistes persuadés que le monde est gouverné par des cyborgs ou des reptiliens. Ça ne peut pas bien finir.

Cool franglais

Julien Guy-Béland use et parfois même abuse du franglais, quand il n'écrit pas carrément en anglais, ce qui peut être un élément irritant pour le lecteur par moments, car s'il y a de réelles trouvailles stylistiques, on sent dans certains passages que le franglais n'est là que pour faire «cool». Mais tout au bout du livre, on sent un questionnement sur les «French Canadians», ce que le personnage incarne à Los Angeles.

«Beautiful like most of les Canadiens français que tu connais, hein? Comme tous ces petits membres de cette petite patrie. Nothing more: nothing less. Une petite touche d'exotisme dans ta chienne d'existence. Tes igloos, nos palmiers.»

On avance avec fascination dans ce premier roman, qui devient de plus en plus solide vers la fin, non pas tant pour l'intrigue, mais pour son atmosphère très réussie, portée par une narratrice qui semble aussi damnée que son époque.

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Vos voix ne nous atteindront plus. Julien Guy-Béland. Héliotrope, 195 pages.