Un nouveau roman de Patrick Brisebois? On n'y croyait plus. Planqué depuis plusieurs années à Louiseville en solitaire, Brisebois s'est fait rare, trop rare, et en ce qui concerne l'écriture, il a surtout réécrit ses premiers romans - Trépanés et Chant pour enfants morts, parus au début des années 2000 à L'effet pourpre, ont été transférés au catalogue du Quartanier en 2011. Son dernier roman, Catéchèse, publié chez Alto, date de 2006.

Écrire sur la difficulté d'écrire est un thème récurrent (et parfois irritant) chez les romanciers. C'est l'un des thèmes de Brisebois encore cette fois-ci, mais il fait partie de son identité. Constantin, son narrateur, rappelle Isidore Malenfant de Chant pour enfants morts, auteur de science-fiction raté.

Dans cette espèce de journal exsangue, Constantin peine lui aussi à écrire un roman de SF (vraie lubie de Brisebois), mais il a au fond abandonné depuis longtemps, quand bien même son imaginaire et ses nuits sont remplis de ça, par le cinéma, les livres, les jeux vidéo, entre des pertes de temps à «liker» sur Facebook.

Mais voilà, «il ne veut plus raconter. Il ne veut plus commencer un chapitre, boucler un chapitre, fermer un arc, finir. Je veux pus raconter, dit-il à voix haute. Il n'y a aucun écho dans le salon. Adolescent, il voulait devenir poète à tout prix. Maintenant, c'est tout ce qui reste. Dickinson a chassé K. Le Guin. Desbiens a chassé K. Dick».

Le modèle de Nice, titre du livre, n'est qu'une définition piquée sur Wikipédia, clin d'oeil à la paresse des écrivains du nouveau millénaire, ce qu'il est. Constantin décourage sa blonde Marianne, comparée à une sylvidre du dessin animé Albator, «son premier fantasme», qui vient le visiter une fois de temps en temps dans sa piaule de La Meunière, un trou où il passe pour un bizarre parmi les bizarres, comme dans la chanson de Jim Morrison.

Elle se demande pourquoi il ne revient pas vivre à Montréal, alors qu'elle devient de plus en plus distante, jusqu'à la rupture inévitable des amours à distance, qui font mal quand même. Et peut-être plus quand on est si seul.

Il se lie d'amitié avec Angéline, avec qui il cale des bières et du vin de dépanneur, rêve parfois mollement à l'une ou l'autre des deux seules femmes dans sa vie, regarde sa vie s'écouler entre ses doigts et, signe qu'il vieillit, commence à détester les jeunes.

On l'aura compris, avec «sa mélancolie d'auteur foutu», ce sont des pages et des pages de spleen de Constantin qu'on lit, parfois en éclatant de rire quand il résume en quelques mots une situation misérable qu'on comprend immédiatement, alors qu'à d'autres moments, cette efficace simplicité se fait poignante et nous brise en deux, d'une phrase.

C'est que la bohème - ce « désespoir couleur café crème », disait Louis-Ferdinand Céline - dans laquelle a toujours vécu Constantin se dirige lentement vers la froide solitude et la vraie pauvreté. S'il ne retourne pas à Montréal, c'est qu'il n'en a pas les moyens, maintenant que le prix des loyers est épouvantable, d'autant plus qu'il n'a jamais su comment entrer dans le monde adulte et se débrouiller.

C'est un quarantenaire sans enfants, sans boulot, et sans inspiration. «L'étau de l'existence se resserre sur moi», «le monde s'effrite et le rêve s'effondre», mais «le monde est en ordre, les poètes dessous, les vedettes dessus». C'est, plus encore, un homme qui a peur de tout. Même d'écrire quand c'est pourtant tout ce qu'il lui reste.

Le lien vers La fêlure, l'une des nouvelles les plus sincères et terribles de Scott Fitzgerald, surlignée dans Le modèle de Nice, est alors incontournable. On vivra avec la mélancolie de Patrick Brisebois, et malheureusement sa rareté, parce qu'on n'arrive tout simplement pas à y résister.

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Le modèle de Nice. Patrick Brisebois. Le Quartanier. 149 pages.

Photo fournie par Le Quartanier

Patrick Brisebois