Après les monstres décrits dans son roman précédent, Inhumaines, que pouvait bien mijoter Philippe Claudel dans sa marmite volcanique ? La réponse est solide comme le roc du désespoir : L'archipel du chien est une fable tout aussi cinglante et à désespérer du genre humain.

L'écriture du romancier français n'est pas dénuée d'humour, mais celui-ci est noir comme la lave séchée qui survivra à toute humanité. Dans une île oubliée du monde, les pêcheurs pêchent et pèchent, les politiciens dirigent et « dictaturent », les enseignants... doivent se taire. Surtout s'ils viennent d'ailleurs et découvrent le pire sous les corps de trois cadavres trouvés sur la plage.

L'archipel du chien pourrait être un lieu idyllique, mais l'homme y reste un loup pour l'homme. L'avidité, la lâcheté et la violence y sont les mêmes qu'ailleurs. On s'y montre peinard, mais on vit dans le mensonge et l'hypocrisie.

Mine de rien, avec cette intelligence du récit original et du style incisif qui le caractérise, Philippe Claudel nous parle du monde actuel au bord de l'apocalypse : l'emprise tentaculaire des puissants, la victoire du fric, l'ambiance délétère en France (pré-Coupe du monde), la crise des migrants, la fin des idées et de la connaissance...

Son récit se développe peu à peu en un suspense qui s'emballe dans le dernier tiers. Le lecteur pourra respirer, un moment, pensant que la vérité saura triompher. Mais c'est oublier qu'il avait été averti dès le départ : « Vous convoitez l'or et répandez la cendre. Vous souillez la beauté, flétrissez l'innocence. »

Même dans l'isolement le plus complet, sous les apparences d'un calme absolu, le feu gronde sous la terre. L'humain devra disparaître, c'est dans sa nature.

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L'archipel du Chien

Philippe Claudel

Stock

283 pages

EXTRAIT

« Face à lui, au milieu de la place du port, une table longue d'une vingtaine de mètres avait été dressée. Les convives n'étaient pas encore arrivés. Un vent chaud soulevait les nappes en papier. Certaines serviettes étaient à terre. Un verre était renversé. Il songea à la Cène. Avant qu'elle ne commence. Un motif qu'aucun peintre n'avait songé à représenter. Quelqu'un avait disposé les assiettes, les verres, les couverts, puis s'était retiré. Une servante ? Un des apôtres ? On n'attendait que le Christ et ses compagnons, et Judas, pour que se mette en marche le dernier acte de la tragédie pourtant banale qui occupait depuis deux mille ans une grande partie de l'humanité. »