Une fille et sa mère arpentent les rues de New York. En marchant, elles discutent, échangent, s'obstinent, ressassent des souvenirs.

L'auteure, Vivian Gornick, est une journaliste américaine, essayiste et féministe aujourd'hui âgée de 81 ans. Elle a fait ses débuts dans les pages du Village Voice dans les années 70 et compte une quinzaine de livres à son actif. Celui-ci est plutôt autobiographique: elle y dépeint la relation complexe qu'elle entretient avec sa mère, un personnage qui aime bien le mélodrame et qui n'a pas peur de dire le fond de sa pensée.

Vivian Gornick a grandi dans le Bronx aux côtés de cette mère qui ne se sentirait pas dépaysée dans un roman de Michel Tremblay. Elle brosse le portrait de cette maman plus grande que nature ainsi que des femmes qui gravitent autour d'elle. Des femmes fortes, fragiles, attachantes.

La plume de Vivian Gornick est tendre, mais jamais complaisante. On sent beaucoup d'amour pour ce Bronx et ses habitants qui l'ont définie comme femme et comme écrivaine.

Pour ceux qui ne connaissent pas l'écriture vivante et intelligente de Gornick, ce livre paru pour la première fois en anglais en 1987, et tout juste traduit en français, est une superbe entrée en matière.

Attachement féroce

Vivian Gornick

Rivages

222 pages

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EXTRAIT

«Nous remontons la Cinquième Avenue. Je suis dans un mauvais jour. Je me sens grosse, seule et prisonnière de ma vie misérable. Je sais que je ferais mieux d'être au travail, que je joue à la fille dévouée uniquement pour échapper à mon bureau. Mon angoisse est si palpable que j'en ai mal à l'estomac. Comme toujours, ma mère sait qu'elle ne peut rien pour moi, en revanche, mon mal-être la rend nerveuse. Elle déblatère sans conviction, comme si elle cherchait à noyer le poisson, au sujet de l'une de mes cousines qui songe au divorce. Comme nous atteignons la Public Library, un extrémiste bouddhiste (tête rasée, la peau - rendue presque translucide -, sur les os, vêtu d'un bout de gaze rose pâle), nous fonce dessus avec, à la main, un exemplaire des écrits de son maître. Ma mère continue à parler tandis que la créature vêtue de gaze s'agite autour de nous, son laïus devenant un bourdonnement régulier. Il cherche à capter mon attention. Pour finir, ma mère se sent interrompue. Elle se tourne vers lui. "Qu'est-ce qu'il y a? demande-t-elle. Qu'est-ce que vous voulez? Dites-moi." Il lui parle. Elle écoute. Puis elle crispe les épaules, se redresse du haut de son mètre soixante et déclare: "Jeune homme, je suis juive et communiste. Je pense que ça suffit pour une seule vie, vous ne croyez pas?"»