Depuis déjà un bon moment, la France nous fait de la peine. Voilà un pays au passé prestigieux et dont les ressources sont innombrables, mais qui semble inexorablement s'enfoncer dans une crise grave, une situation qui, vue du Québec, suscite l'embarras.

Crise économique, crise politique, crise sociale... Il était donc tentant d'essayer d'y voir plus clair en ayant recours aux réflexions d'un des plus grands penseurs de l'Hexagone, le philosophe Alain Finkielkraut. Même si l'on avait eu des échos troublants sur l'évolution de la pensée finkielkrautienne, le titre de son livre nous laissait présumer, à tout le moins, un peu de malice et d'ironie. La seule exactitude, espérions-nous, serait une critique d'une certaine arrogance, le rejet d'idées reçues, un examen de conscience ou un appel au changement des mentalités. Que nenni! 

Ce bouquin ne contient guère de cet éclairage qui sied à l'homme d'esprit, à celui qui doit, a priori, éveiller la sagesse. Il s'agit de réflexions que l'auteur a écrites au cours des trois dernières années, évoquant l'actualité française et internationale de janvier 2013 à l'été 2015. Politique hexagonale et européenne, mariage homosexuel, éducation, immigration, travail de la presse, laïcité et religion, morale, Front national, racisme, conflit israélo-palestinien, Charlie Hebdo. Tout ce qui suscite le débat en France depuis trois ans se retrouve dans ce livre.

Un gouffre

L'intérêt de le lire est donc indéniable. Toutefois, on se rend compte rapidement qu'il n'y est guère question d'une recherche de compréhension des phénomènes de société ni de solutions innovantes à des problèmes cruciaux. Si un élément se dégage de sa lecture, c'est bien le gouffre qui existe entre la perception d'un Alain Finkielkraut sur les questions sociales et politiques qui confrontent l'Occident et celle généralement partagée au Canada.

Le mariage entre personnes de même sexe en est la plus claire illustration. S'il a été adopté dans la concorde, voire l'indifférence, dans nombre de pays, notamment au Canada, il a déchiré la France, et le philosophe-académicien qui se dit «gay-friendly» n'écrit rien qui pourrait élargir les oeillères de bien des Français sur le sujet. 

Au contraire, puisque Alain Finkielkraut se «révolte contre cette éviction de l'altérité dans la filiation» et contre le droit des couples de même sexe d'avoir des enfants. «Le mariage pour tous a fait souffler sur notre pays un grand vent d'ingratitude en rejetant tout son passé dans les ténèbres de la barbarie».

Il serait presque souhaitable que son collègue de l'Académie française Dany Laferrière lui précise quelques notions de modernité et de justice...

Quand il évoque plus loin la fraude fiscale, il vilipende les médias français qui réclament la «transparence pour combattre la corruption». Selon lui, «l'opulence [...] redevient une infamie». Un peu court comme raisonnement.

Identité

Mais c'est surtout dans son analyse de l'identité française qu'on découvre avec stupéfaction combien la pensée de ce philosophe plutôt réactionnaire est ancrée dans le passé, voire étouffée par son héritage.

«Quand je lis, sous la plume de Caroline Fourest [une journaliste et féministe française] elle-même, que le plus grand danger auquel nous sommes confrontés n'est pas le communautarisme musulman mais la "montée du racisme antimusulman pour tenter de revenir aux vieux clochers, à la France éternelle où la norme était celle de l'homme hétérosexuel catholique", je me dis, le coeur serré, que le parti de la détestation nationale ne cesse de progresser en France.»

L'art de déformer une volonté d'inclusion et d'ouverture de la société française. Ah, nostalgie, quand tu nous tiens... 

Finalement, La seule exactitude illustre ce conservatisme à la française qui ne cesse de croître depuis le début du siècle, tel qu'on a encore pu le constater lors du scrutin électoral de décembre. Cette France que l'on veut croire minoritaire, réfractaire aux agréments du vivre-ensemble et à la richesse des différences. 

La France vit une période troublée par les affres du djihadisme. Frappée, elle reçoit, à juste titre, le soutien des démocrates du monde entier. Mais il est poignant en même temps de constater que la France ne suscite plus la même admiration qu'auparavant. Tout comme ce philosophe qui s'égare dans une pensée plus nuisible que constructive. Une pensée qui ralentit la France au lieu de la relancer sur la voie des générations plurielles.

____________________________________________________________________________

Une seule exactitude. Alain Finkielkraut. Stock. 306 pages.

STOCK

La seule exactitude, d'Alain Finkielkraut