Alors que les questions identitaires occupent l'Occident jusqu'à l'obsession et la haine de l'autre, Enard tente de relancer une évidence souvent oubliée: il y a de soi en l'autre, et de l'autre en soi.

Porosité des frontières culturelles, donc, que le romancier démontre en revisitant, au prétexte de l'insomnie de son narrateur, le musicologue viennois Franz Ritter, l'histoire de l'Europe et de l'Orient, par le biais de plusieurs personnages d'universitaires orientalistes.

Boussole se révèle un voyage encyclopédique où la surabondance de récits et de noms, des plus connus (Chateaubriand, Stendhal, Schönberg, Freud) aux plus obscurs, au gré des paysages de Téhéran, Paris, Vienne ou Alep, exige du lecteur une concentration sans faille.

La trame romanesque est ténue, avec ce narrateur reclus retraçant sa vie et son amour solitaire de la belle intellectuelle Sarah, et l'on jugera ce tour de force brillant ou à l'inverse lourdement indigeste: si l'on ne traverse qu'une seule nuit d'insomnie avec le personnage, il en faudra plusieurs pour venir, lentement, péniblement parfois, à bout de ce monument d'érudition... et accepter d'avoir tout oublié, ou presque, au bout du marathon de lecture.

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Boussole. Mathias Enard. Actes Sud, 383 pages.