La Française Christine Angot et la Québécoise Martine Delvaux ont lancé cet automne des autofictions fort remuantes. Un amour impossible et Blanc dehors, deux récits qui remontent dans le temps de leurs histoires familiales, sont parmi les livres les plus réussis de cette rentrée littéraire. Nos critiques de ces deux oeuvres qui, malgré leurs différences, se répondent.

Un amour impossible: donner un sens au passé ****

Savoir d'où on vient, pouvoir se raconter l'histoire qui a mené à notre naissance, voilà l'étincelle à l'origine de bien des vocations artistiques. Les fans de la reine Angot (c'est le surnom qu'on lui donne en France) connaissent la faille de l'écrivaine, l'inceste qui a inspiré et alimenté tous ses livres, qui a marqué sa vie et son oeuvre au fer rouge. Dans son nouveau roman, Christine Angot pose toutefois son regard ailleurs, du moins c'est ce qu'on se dit en entamant Un amour impossible, qui raconte l'histoire d'« amour » de ses parents.

Sa mère, Rachel Schwartz, jeune fille juive vivant à Châteauroux, dans la région française de la Champagne, travaille à la Sécurité sociale. Son chemin n'aurait pas dû croiser celui de Pierre Angot, traducteur issu d'une classe sociale beaucoup plus aisée, qui vit à Paris. De cette rencontre qui ne devait pas avoir lieu, de cette relation passionnelle qui aurait dû se terminer au bout de quelques jours, naîtra tout de même une enfant, Christine, désirée par sa mère, tolérée par son père.

Malgré l'époque, les années 50, ç'aurait quand même pu être une belle histoire. Mais Pierre Angot est un manipulateur narcissique qui joue sans aucun scrupule avec la vie et les sentiments de Rachel. La mère de Christine Angot acceptera tout de cet homme, même l'inacceptable. Elle tentera aussi, pendant des années, et ce, malgré le fait que leur union n'en est pas une, de faire reconnaître officiellement Christine par son père. Si Rachel s'est résignée à vivre dans l'ombre, sa fille, elle, aura droit à la lumière.

Jamais le mot « inceste » n'est prononcé dans ce livre d'une écriture précise, lumineuse, ultralucide. Christine Angot a plutôt cherché à comprendre le geste, de lui donner un sens dans le contexte de l'histoire de ses parents. C'est ce qui rend ce magnifique roman encore plus terrible.

Car l'inceste est utilisé ici comme une arme dans un rapport de classes inégal, une sorte de solution finale pour nier la mère, pour la tuer en quelque sorte. Fortes et très émouvantes, les dernières pages de ce récit très, très prenant sont à la fois terribles et remplies d'amour pour cette mère aimante et aimée malgré tout, malgré les failles, les manquements et les blessures. Contre toute attente, cet amour-là, entre une mère et sa fille, semble toujours possible.

Un amour impossible, Christine Angot, Flammarion, 217 pages, ****

FLAMMARION

Un amour impossible, de Christine Angot

Blanc dehors: refaire le fil de son histoire *** 1/2

Il y a la Martine Delvaux essayiste et féministe prête à prendre la parole chaque fois que nécessaire. Et il y a la Martine Delvaux romancière de l'intime, auteure de trois romans (C'est quand le bonheur, Rose amer etLes cascadeurs de l'amour n'ont pas droit au doublage), qui propose cet automne une autofiction prenante, Blanc dehors.

Martine Delvaux est née en 1968 à Québec et n'a jamais connu son père. Toute sa vie, elle aura cherché à comprendre les débuts de son existence. Comment ses grands-parents ont-ils réagi en apprenant que leur fille était enceinte ? Est-ce que sa mère a songé à l'avortement ? Placée à l'orphelinat « en attendant » tout de suite après sa naissance, comment les soeurs se sont-elles occupées d'elle ? Quel était son prénom pendant cette période ? Et surtout, qui était ce père qui a refusé de reconnaître sa paternité et s'est enfui, dont elle ne connaît même pas le nom ?

Martine Delvaux nous parle d'un monde en transition entre la libération sexuelle et une société encore dominée par l'Église. C'est dans ce contexte qu'elle est venue au monde, et qu'une chape de plomb a été posée sur sa conception et les premiers mois de sa vie.

Au cours des années, Martine Delvaux n'a réussi à soutirer que quelques bribes de son histoire à son entourage. Dans Blanc dehors, la romancière tente donc de combler les vides et refait le fil de son récit personnel bourré de trous, par urgence, par nécessité, quitte à froisser les gens autour d'elle. « Je ne peux pas attendre que les gens meurent pour écrire, j'écris pour les vivants, avec eux autour de moi. »

Le résultat est d'une beauté et d'une densité bouleversantes, et place le lecteur devant ses propres interrogations. D'où vient-il ? Qui étaient ses parents ? Comment tout cela s'est-il réellement passé ? On ne le sait jamais vraiment.

« Aucun livre n'a été aussi difficile à écrire que celui-ci », admet l'auteure dès le début. Elle y est arrivée pourtant, avec finesse et délicatesse, mais sans apitoiement ni mélodrame. À coups de courts paragraphes qui se promènent dans le temps, elle a écrit un livre extrêmement intime, mais dont la portée est pourtant très large.

« Ce n'est pas un récit sur ma mère. Ce n'est pas non plus un récit sur mon père. C'est un récit qui parle de l'absence de récit », écrit-elle. Ainsi la fiction prend le relais du non-dit, parce que mieux vaut une histoire inventée qu'une histoire pleine de trous.

Blanc dehors, Martine Delvaux, Héliotrope, 186 pages *** 1/2