Il compte près de 1500 pages, dont plus de 150 entièrement consacrées aux «Notes et errata», le tout imprimé en pattes de mouche. Mais une fois le plongeon effectué, on se laisse dériver (terme fort approprié) au gré de ce roman d'anticipation, adulé aux États-Unis, mais dont la traduction française s'est fait attendre pendant... près de deux décennies.

Que recèle L'infinie comédie? Un prisme à mille folles facettes. Une énigme tortueuse et torturée. Ce récit à voies multiples met en parallèle, entre autres, les pérégrinations de la famille Incandenza, consacrée à sa prestigieuse académie de tennis, des toxicomanes de tous poils fréquentant un refuge pour accros en pénitence, et un groupe de séparatistes extrémistes québécois ayant mis la main sur une arme de destruction massive. Cette dernière, «le Divertissement», se trouve être une vidéo réduisant en bouillie la cervelle de quiconque la visionne, par surdose de plaisir.

Le tout évolue dans un décor vacillant entre l'absurde et l'improbable, au sein d'une Amérique du Nord unifiée (États-Unis, Canada et Mexique ont formé une alliance) où les années ne sont plus chiffrées mais commanditées («Année de la mini-savonnette Dove»).

Scènes, lieux, événements historiques et surtout personnages (affublés de plusieurs sobriquets) se mêlent et se multiplient comme du chiendent, parfois pathétiques, souvent loufoques, à l'image de l'ex-crooner Johnny Gentle, «le premier président états-unien qui ait fait tournoyer son micro en le tenant par son cordon pendant son discours d'investiture».

Hautement satirique et ironique, expérimentale à souhait, considérée comme un monument du post-modernisme, cette oeuvre requiert un engagement total du lecteur, confronté à des chapitres parfois très obscurs et contraint de consigner des mémorandums afin de ne pas perdre le nord dans ce labyrinthe littéraire déluré.

Un livre semblable à un cube Rubik, pas des plus abordables, mais jouissif pour qui se prête au jeu.

Un monstre sacré

La traduction d'Infinite Jest en langue française vient réparer un tort relativement surprenant, puisque l'ouvrage et son auteur s'étaient rapidement taillé une place prépondérante dans le paysage littéraire américain. Publié en 1996, alors que David Foster Wallace n'a que 34 ans, il séduit aussitôt un très large public et s'impose comme best-seller, malgré la complexité, la longueur et le caractère encyclopédique du récit. Chérie des lecteurs américains, la brique devenue classique a aussi attisé loupes et bistouris: elle a été très largement disséquée, commentée et théorisée par de nombreux analystes littéraires.

Preuve d'une importance toujours vivace, un film consacré à Wallace (l'auteur s'est suicidé en 2008), The End of the Tour, est sorti en juillet dernier.

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L'infinie comédie. David Foster Wallace. Traduit de l'anglais par Francis Kerline. Éditions de L'Olivier, 1488 pages.