Comment vous convaincre qu'il faut lire ce septième roman du Français Sorj Chalandon, alors qu'il y est question de père mythomane, de violence familiale au quotidien, d'abus et de manipulations, de pure terreur enfantine? Aigri, tyrannique, souffrant d'un choc post-traumatique à une époque où ni l'expression ni le diagnostic n'existent (au début des années 60), le père d'Émile s'invente un passé professionnel auquel son fils croit dur comme fer.

Que son papa ait été espion, chanteur à succès, professeur de judo, pasteur et même conseiller personnel du général de Gaulle, Émile, 10 ans, en est convaincu: son père, ce héros qui le maltraite, le lui a dit! Comme Émile est convaincu qu'il est de son devoir d'assassiner le général de Gaulle quand ce dernier met en branle, en 1961, le processus devant mener à l'indépendance de l'Algérie. C'est Papa qui l'a dit. Et Papa a un pistolet...

Dans ce récit, qui s'étend des années 60 aux années 2010, va se dérouler un drame aux conséquences inattendues, jusqu'au tout, tout dernier moment.

Le père d'Émile est «un metteur en scène fabuleux, expliquait l'écrivain en entrevue. S'il n'y avait pas eu la violence, il aurait été le plus grand des pères». Il aurait été, en quelque sorte, le père fabuleux imaginé par Roberto Benigni dans le film La vie est belle. Ou celui raconté par Pagnol dans La gloire de mon père. Seulement voilà, on n'est pas dans un film, ni en Provence.

On est dans un roman de Sorj Chalandon. Qui reconnaît que ce livre, magnifiquement écrit, extraordinairement construit, comporte, c'est vrai, une part d'autobiographique. Que le nom des petits copains d'Émile, par exemple, sont de «vrais» noms de ses copains d'enfance à lui. Et que l'amour qu'éprouve malgré tout Émile pour son géniteur, Sorj sans doute l'a éprouvé pour le sien.

Mais tout comme dans Le quatrième mur, son précédent roman qui se déroulait pendant la guerre du Liban et qui était inspiré par ce qu'avait vécu le journaliste qu'était alors Chalandon, il y a là un véritable travail d'écriture, de transmutation. L'écriture comme pierre philosophale, en quelque sorte, capable de transformer la réalité une fois passée dans le creuset de l'écrivain. C'est ce travail de métamorphose qui fait qu'on «ressent» si intimement - et de façon inoubliable - les romans de cet alchimiste littéraire qu'est Chalandon depuis ses débuts, en 2005.

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Profession du père. Sorj Chalandon. Grasset, 320 pages.