Entre le Québec et la Nouvelle-Angleterre, l'auteur de Québec Patrick Roy (La ballade de Nicolas Jones) nous sert cet été un véritable roman américain, tant dans le territoire que dans son esprit. Récit de muscle et de sang qui fait parfois un détour du côté de l'émotion brute, L'homme qui a vu l'ours se laisse difficilement apprivoiser avant de happer complètement le lecteur dans sa construction et son rythme implacables.

Le journaliste sportif Guillaume Fitzpatrick entreprend d'écrire la biographie de Tommy Madsen, lutteur aux allures de Viking, maître de son sport jusqu'à ce que survienne un accident qui lui a tout fait perdre.

En plus de rencontrer le champion, son ex-femme ou son ancien gérant, Fitzpatrick se fait aider dans la recherche par son ami Hugo Turcotte, fou de sport et d'échecs, qui met avec un zèle maniaque le nez où il ne devrait pas. En enquêtant sur l'entourage de Madsen - son père, ses anciens collègues de gym -, les deux hommes déterrent en effet tout un monde de magouillage dans le milieu agricole du nord-est américain. Et en paieront le prix.

Roman de sport, roman d'une chute, roman noir, roman social, L'homme qui a vu l'ours est tout ça, mais c'est à partir du moment où il s'éloigne de son sujet apparent, Madsen, pour s'intéresser davantage aux dommages collatéraux de l'enquête des deux journalistes qu'on se laisse prendre au jeu. C'est d'ailleurs la réflexion que se fait Turcotte, à la moitié de ce roman dense de 450 pages: «... il faudrait qu'il y vienne éventuellement, que le récit de l'existence de Tommy Madsen ouvre sur celles de Joyce Kesler, de Junior Flannigan et des autres, ou le livre ne serait qu'un ramassis de lieux communs sur la lutte et un portrait convenu du héros aux prises avec ses démons».

C'est clairement la vision de Patrick Roy, qui au début du livre semble s'être trop éparpillé à force de vouloir tout y mettre, mais qui finalement réussit à nous tenir en haleine jusqu'au bout justement grâce à ce mélange équilibré entre le trio de personnages principaux - dont deux ne se rencontrent jamais -, navigant entre le passé, le présent et les points de vue dans une trame narrative rigoureuse ponctuée de surprises.

Il sait aussi nous garder avec lui avec ses histoires récurrentes, comme les relations de Fitzpatrick avec son père et sa soeur, la menace sourde qui commence à gronder et qui va en augmentant, la partie d'échecs sur l'internet de Turcotte qui dure TOUT le roman, et surtout cet abcès que le journaliste du Soleil soigne en gobant médicaments et alcool pour geler la douleur, repoussant constamment sa visite chez le dentiste - à la fois drôle, douloureux et légèrement écoeurant...

Bourré de détails, de non-dits, de blancs à remplir et de dialogues qui sonnent juste, L'homme qui a vu l'ours n'est pas un roman jetable et fait appel autant aux tripes qu'à l'intelligence des lecteurs. Avec son éclat sombre, une finale sanglante digne des frères Coen et porté par l'écriture très fluide, très maîtrisée de Patrick Roy, ce roman est un tour de force qui trouve très bien sa place dans la tradition du roman réaliste social américain, tout en gardant un aspect résolument québécois. Une réussite, qui arrive en plein coeur de l'été, mais à côté de laquelle il ne faudrait pas passer.

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L'homme qui a vu l'ours. Patrick Roy. Le Quartanier. 460 pages.