Perspicace, cinglante, légèrement tordue, ancrée dans le social... La richesse de l'écriture de Jean-François Chassay réside dans l'habileté de cet auteur à amalgamer les thèmes et les registres, témoignant d'une vaste culture littéraire et d'une profonde curiosité intellectuelle.

Requiem pour un couple épuisant et autres nouvelles réunit des textes que Chassay a fait paraître de 2005 à 2014 dans diverses publications québécoises comme Moebius, Liberté et XYZ. Il y exerce sa plume précise et imaginative et s'aventure avec originalité dans des thèmes comme l'obsession pour les chiffres (Le chiffre exact), la notion de «double» qui rebondit dans l'amour à trois (Doppelgänger) et les récriminations de ses pairs, les profs d'université, en temps d'inculture et de cynisme collectif (Le droit du plus fort).

Au gré de ces courtes immersions dans les lieux de prédilection d'un auteur doué pour l'absurde, on a droit à une visite ludique dans l'imaginaire rigoureux d'un esprit fin et curieux, autant fasciné par les sciences pures qu'observateur de l'incohérence des comportements humains.

«Écrivez sur ce que vous connaissez le mieux», a-t-on souvent entendu. Spécialiste de littérature américaine, expert de Queneau, Montréalais qui connaît les moindres recoins, les moindres fantômes de son île, universitaire soucieux de créer des ponts entre la narration et la fiction, Jean-François Chassay écrit justement sur ce qu'il lit. Cela étant, les courtes nouvelles de Requiem pour un couple épuisant, une vingtaine au total, se tissent autour de la lecture d'un mémoire de maîtrise qui ne tient pas la route, de la frustration névrotique d'un auteur dont le roman est refusé par des dizaines d'éditeurs, ou encore d'un couple de fonctionnaires boomers aux velléités artistiques tout droit sorti de chez Georges Perec.

Maniant habilement l'ironie, doté d'un redoutable goût pour les clichés, la plume de Jean-François Chassay virevolte entre le scabreux, le déprimant, l'humoristique, le pathologique.

Il se fait souvent grinçant et montre une préférence pour la vérité brutale aux bons sentiments, composant des personnages souvent lamentables, névrosés ou carrément risibles. Son ton peut être fataliste, mais il possède et maîtrise l'art de raconter et un impeccable sens du rythme, offrant à celui qui parcourt ses écrits un authentique plaisir de lecture.

On peut dire que Jean-François Chassay est un acharné, un romantique, un aventurier de l'intériorité, qui continue d'enseigner et de faire triompher la littérature dans un monde qui, dit-on, aurait délaissé les livres.

____________________________________________________________________________

* * * *

Requiem pour un couple épuisant et autres nouvelles. Jean-François Chassay. Leméac, 166 pages.

Jean-François Chassay en quatre ouvrages

Laisse

ll est question de rapport entre l'homme et la bête, dans ce roman influencé par l'Oulipo de Queneau, qui s'établit sur neuf monologues intérieurs de propriétaires canins, pour culminer dans un entremêlement de discours humains et de réflexions, évidemment dans un parc à chiens.

Paru en 2007, chez Boréal.

L'angle mort

Trois êtres unis par des liens, un soir de janvier de l'an 2001, attendent chacun de leur côté de se rencontrer. L'une parle au téléphone avec des interlocuteurs invisibles, un autre se parle à lui-même et un troisième se confie à une femme inconnue dans un restaurant. À mesure qu'avance le récit, les confidences tombent...

Paru en 2002, chez Boréal.

Au coeur du sujet - Imaginaire du gène

Charles Darwin, Villiers de L'Isle-Adam, Siri Hustvedt interagissent avec Tracy Chevalier, Kurt Vonnegut et James Watson, dans cet essai sur les frontières poreuses entre science et imaginaire littéraire, un lieu d'exploration intellectuel prisé par Jean-François Chassay.

Publié au Quartanier, en 2013.

Sous pression

Un Montréalais qui a décidé d'en finir avec l'existence prend part à une excursion dans sa ville et va à la rencontre d'une suite d'interlocuteurs dont le rôle sera de le convaincre d'en finir (ou pas) avec la vie. Clin d'oeil à Camus, dans cet ouvrage teinté d'humour qui parle beaucoup d'identité.

Paru en 2010 chez Boréal.

Photo: Robert Skinner, archives La Presse

Jean-François Chassay