L'auteur d'Indépendance (prix Pulitzer en 1996) revient avec Canada, véritable lame de fond dont on ne sort pas indemne. On y suit l'histoire de Dell Parson, un garçon de 15 ans qui, au début des années 60, doit fuir le Montana pour se réfugier en Saskatchewan après que ses parents ont commis un hold-up.

On ne révèle pas de punch ici puisque le roman commence ainsi: «D'abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite les meurtres, qui se sont produits plus tard.» Pendant toute la première partie du roman (236 pages), Ford décrit avec une précision presque maniaque les jours qui ont précédé et suivi le fameux hold-up qui lui est à peine décrit, le narrateur, Dell, n'y ayant pas assisté.

L'auteur crée ainsi une tension constante et un malaise certain devant ces parents aimants, mais inadaptés et inadéquats - la scène où les enfants visitent leurs parents en prison est un summum d'étrangeté et d'émotion contenue -, dont le narrateur tente a posteriori d'analyser les actes. Car c'est le Dell sexagénaire, professeur retraité, qui raconte cette histoire extraordinaire, puis sa fuite au Canada, organisée par sa mère...

La deuxième partie - encore 200 pages - montre ainsi un Dell qui tente de survivre dans un environnement hostile, hébergé dans une ville fantôme en plein coeur de la Saskatchewan par un mystérieux exilé américain, Arthur Remlinger. Ce père de remplacement abusera de sa confiance et le tout se terminera dans la violence - les meurtres annoncés au début.

Comment faire pour rester «normal» quand tout se déglingue autour de soi? Comment survivre à ses parents? Où se dresse la ligne entre le bien et le mal? Dell se demande même si nos mauvaises actions peuvent être détectées, si les mots «meurtre» ou «hold-up» sont écrits sur le visage de quelqu'un avant même qu'il ne les commette.

Toutes ces questions hantent ce roman sombre et souvent crève-coeur - le jeune homme est entouré d'adultes inconstants et sous le ciel froid des Prairies, il doit se débrouiller seul pour devenir adulte. Le Canada lui permettra pourtant de regarder son pays d'origine avec lucidité et de faire ses choix.

Roman d'apprentissage qui semble parfois tourner en rond, Canada nous amène pourtant toujours un peu plus loin dans la réflexion sur le sens de notre existence. Jusqu'à cette rencontre bouleversante entre Dell et sa soeur jumelle - qui n'a pas pris le même chemin que lui - en fin de vie, faisant leur bilan et leurs adieux.

«Ce que je sais, c'est qu'on a plus de chances dans la vie, plus de chances de survivre, quand on tolère bien la perte et le deuil et qu'on réussit à ne pas devenir cynique pour autant.» Une leçon de vie et un magnifique moment de littérature.

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Canada, Richard Ford, tradit par Josée Kamoun, Boréal, 480 pages.

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Extrait

«Vous vous dites peut-être que voir ses parents menottés, traités de braqueurs de banque et conduits en prison tandis qu'on est abandonné à soi-même, il y a de quoi perdre la tête. Qu'on va traverser toutes les pièces de la maison en courant comme un fou, en se lamentant, en s'abandonnant au désespoir puisque rien ne rentrera plus jamais dans l'ordre. Et pour certains, ça se peut. Mais on ne sait pas à l'avance comment on réagira dans une situation pareille. Je vous garantis que presque rien de tout ça ne s'est passé, ce qui n'empêche pas que la vie ait changé à jamais.»