Roger Casement aura connu un destin des plus singuliers. Irlandais issu d'un père protestant et d'une mère catholique, il voudra, comme bien d'autres de son époque, apporter les mérites de la civilisation et de la foi aux populations indigènes d'Afrique. Trop heureux d'être mandaté par Londres pour représenter la couronne britannique au Congo belge, il découvre l'horreur des exploitations de caoutchouc où les indigènes sont réduits à un état de quasi-esclavage et soumis à la torture de la chicotte.

Casement passera plusieurs années dans la propriété du roi des Belges pour documenter et rédiger un réquisitoire véhément pour mettre fin à cette exploitation brutale. Le rapport aura beaucoup de retentissement et vaudra des éloges à Casement. Londres l'envoie ensuite au Pérou, où une compagnie cotée à la Bourse britannique fait faire aussi la cueillette de la sève d'hévéa à des indigènes, souvent marqués au fer rouge. La chicotte est remplacée par le cep.

Nouvelle dénonciation, nouveau rapport retentissant: Casement est anobli.

La carrière diplomatique ne l'intéresse plus: il considère l'Irlande comme une terre à libérer du joug colonial. Durant la Grande Guerre, les révolutionnaires irlandais le mandatent pour convaincre l'Allemagne d'ouvrir un front qui permettrait à l'Eire de se soulever. Devinant le refus germanique, il revient sur sa terre natale pour dissuader les leaders de passer à l'acte afin d'éviter un massacre. C'est là qu'il est capturé, jugé et condamné à mort pour haute trahison.

Le grand art de Vargas Llosa est de nous raconter la vie de cet homme hors du commun de sa cellule où il attend sans grand espoir d'être gracié. Le lecteur est tantôt plongé dans des souvenirs personnels du personnage, tantôt confronté à ses doutes, ses errements, ses regrets et ses espérances.

L'écrivain nobélisé nous dépeint un homme bousculé par l'Histoire, épris de justice et de générosité, miné par la maladie et par la réputation sordide qu'une campagne de salissage bien orchestrée lui aura accolée en exploitant son orientation sexuelle.

Vargas Llosa livre aussi une dénonciation impitoyable du colonialisme mu avant tout par la cupidité d'Occidentaux qui voulaient surtout fermer les yeux et se boucher les oreilles, des gens que Casement aura tout fait pour réveiller.

Sans avoir peut-être la même puissance que La Fête au bouc, Le rêve du Celte n'en est pas moins un grand roman, pour ne pas écrire tout simplement un grand livre.

Le rêve du Celte

Mario Vargas Llosa

Traduit de l'espagnol par Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès Gallimard. 522 pages

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