Les livres qui prennent aux tripes sont plus rares qu'on le pense. Chaque automne j'ai envie de mourir en est un. D'abord projet théâtral présenté lors du Carrefour international de Québec en 2009, il garde toute sa puissance une fois devenu objet littéraire.

Secrets: c'est le sous-titre de ce livre dans lequel on découvre 37 histoires que des gens ont racontées, dans le plus strict anonymat, aux auteurs. Ces secrets sont devenus monologues, lus et dits par des comédiens pendant un été dans des lieux publics de la ville de Québec. On imagine l'effet qu'ils devaient avoir sur les spectateurs, racontés dans l'intimité, un par un, sans filtre.

Une fois regroupés, leur force de frappe est cependant décuplée. Avec leur écriture fine très proche de l'oralité, les auteurs, les comédiens Véronique Côté et Steve Gagnon, manient habilement les changements de rythme et de ton en accord avec chaque récit. Surtout, ils font une espèce de tour d'horizon d'humanité tellement émouvant qu'on a la gorge nouée deux fois sur trois. On ne ressort pas de ce livre indemne: il y a dans Chaque automne de la nostalgie, de la hargne, de la peur, de l'humour, de la tendresse et beaucoup, beaucoup d'amour - amour fou, éperdu, perdu, infini, déçu.

Au hasard dans ce florilège de tranches de vie, il y a ce jeune homme compulsif qui dérobe de menus objets à chacune de ses conquêtes, et ne trouve chez la dernière qu'un rouleau de papier de toilette. Ou cette femme qui jase sodomie avec ses amies enceintes et qui est «comme fière», mais «le monde entier attend un bébé». «J'aimerais ça être heureuse pour le monde entier, mais je suis juste tannée.» Cet homme amoureux d'une vendeuse de fruits, celui qui mange ses crottes de nez, mais «ça dérange-tu réellement quelqu'un?», cet autre qui veut de la lumière, mais se rend compte qu'il «ne la cherchait pas au bon endroit». «La lumière, elle vient de mon fils. Je sais pas comment j'ai fait pour arrêter de la voir.»

Dans ce livre à fleur de peau, les rapports filiaux dominent et c'est peut-être pour cette raison qu'il est si touchant: même s'il est souvent question de la douleur de la perte ou de l'absence de communication, on n'est ni dans l'amertume ni dans les reproches - le pain et le beurre de la fiction lorsqu'on aborde ce thème. C'est plutôt l'affection et l'amour, dits ou non dits, qui transpirent de ces relations parents-enfants, pas toujours parfaites mais uniques, essentielles, irremplaçables et indélébiles.

Ces secrets sont-ils réels ou inventés? Peu importe, puisqu'ils nous entraînent au coeur même de l'humain, dans le plus profond de son intimité, au plus près de sa blessure. Un travail d'orfèvre, solide et brillant, dont le principal défaut est d'être beaucoup trop court.