La vraie vie est dure, mais elle a le mérite de donner des émotions. Benjamin, passionné de jeux vidéo interactifs, décide de mettre fin à l'existence virtuelle du chevalier Benj Aminn après le suicide de son âme soeur Raph. Son but: suivre ses pas, retrouver la trace de celle qu'il a perdue huit ans plus tôt. Le chemin ne sera pas de tout repos.

Suite de Mes aventures d'apprenti chevalier presque entièrement raté, Mémoires d'outre-Web ramène Benjamin, qu'on avait connu âgé de 8 ans et qui en a maintenant 16. Les «orcs» sont toujours après lui pendant la récré, l'école ne l'aime toujours pas, et maintenant que Raph n'est plus là, il voit de moins en moins pourquoi il resterait en vie. Protégé par le chat de gouttière Allié-Gris, supervisé par la déesse Divine Soleil - «Il faut regarder, Benjamin, poser un regard original, unique, sur les choses. Le chemin nous fait pas de cadeau», lui dit-elle -, son parcours initiatique (sans GPS) dans les rues de Montréal lui redonnera pourtant l'envie de continuer, et des raisons pour le faire.

«Quand on fait le calcul, ce qui est inévitable une fois qu'on sait additionner, on se demande vraiment qu'est-ce qu'on fout ici et comment arrêter tout ça parce que le chaos, vois-tu, j'en ai déjà suffisamment à l'intérieur qu'il pourrait bien ne pas se répandre au moins.» Des citations comme celle-là, il y en a à la pelletée dans ce troisième roman de Marie Clark, dont la langue regorge de trouvailles. Et au-delà de l'histoire de ce gamin perdu et retrouvé, c'est dans chaque phrase tordue, chaque détournement de sens, que Mémoires d'outre-Web vaut le détour. Cette approche faussement naïve n'est pas nouvelle, mais l'auteure réussit à maintenir le cap de manière très rigoureuse, sans relâcher. La façon aussi qu'a Benjamin de s'adresser au lecteur, de lui annoncer ses intentions et même de lui expliquer son processus d'écriture, nous fait entrer dans son univers.

Naviguant toujours entre le virtuel et le réel, le jeune garçon comprend peu à peu que contrairement au jeu War of Worldcraft, tout n'est pas blanc et noir dans la vie, que les rôles des méchants et des bons peuvent «s'interpénétrer, ce qui est pas mal moins glorieux, mais finalement plus réaliste, chacun récoltant enfin son dû». Et c'est ce qui sauvera le monde, croit-il, puisqu'il s'en va à sa perte.

Malgré son humour ironique et des incursions magiques, Mémoires d'outre-Web reste une oeuvre sombre, parfois violente, d'une tristesse qui transparaît entre les lignes: le monde dans lequel vit Benjamin est dur et laid. Heureusement, il y a aussi de l'espoir, porté par la petite Iphi-Génie, et par Benjamin lui-même, qui trouvera, difficilement, un sens à sa vie.

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Mémoires d'outre-Web. Marie Clark. Hurtubise, 140 pages.