Andreï Makine, prix Goncourt et Médicis pour Le testament français, prix RTL-Lire pour La Musique d'une vie, est un grand romantique qui charme ses lecteurs en partageant ses souvenirs de sa Russie natale. Il parle d'un monde qui n'existe plus, et quand bien même n'avons-nous pas connu les années 60 en pays communiste, la nostalgie n'a pas de frontières.

Le livre des brèves amours éternelles se présente comme une suite de tableaux dans lesquels la femme avec un grand F, et tous les émois qu'elle peut procurer, dynamite la propagande et la grisaille d'une époque dont les rêves étaient conçus par le Parti et pour le Parti. La grande tragédie que Makine semble retenir de sa jeunesse est que son époque manquait fondamentalement d'amour. Aussi simple que cela, et souvent présenté de façon assez simpliste, comme si cette révélation l'étonnait encore, et qu'il soutient parfois avec le lyrisme douteux d'un poète engagé pour la «Cause». «L'amour... murmura en moi une voix incrédule. Tout était prévu dans la société idéale: le travail enthousiaste des masses, les progrès fabuleux de la science et de la technique, la conquête spatiale menant l'homme vers des galaxies inconnues, l'abondance matérielle et la consommation raisonnable liée au changement radical des mentalités. Tout, absolument tout! Sauf...»

Eh oui, la Femme, l'Amour. Avec abus de point d'exclamations et d'explications. On se croirait presque dans un épisode de L'Amour avec un grand A.

Là où Makine excelle, par contre, et c'est en fin de roman qu'on trouve les meilleurs chapitres, est dans la saisie d'un instant fragile qui résume le drame de vies sacrifiées par la marche de l'Histoire. Comme ce jeune homme, défiguré par les mines restantes de la Deuxième Guerre, qui offre un bouquet de fleurs au narrateur ayant la chance de connaître l'amour d'une femme, tandis qu'il doit se contenter de l'image de cette femme recevant le présent des mains d'un autre. Mais peut-être sait-il mieux ainsi ce qu'est, véritablement, la chance d'aimer. Ou alors le passage fugace de Kira, acharnée à combattre le régime de son pays pour accéder à la liberté occidentale, passionnée par un écrivain exilé pour qui elle n'existe pas.

«Comment lui expliquer que dans le passé de ce pays qui s'en va pour toujours, il y a aussi notre enfance», pense le narrateur. Makine n'est pas amer, mais ému en permanence. C'est par moment maladroit, voire même exaspérant. N'empêche qu'en se rendant au bout du livre, il nous reste quelques images puissantes et bouleversantes, qui sauvent en partie ce roman flirtant avec l'eau de rose.

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Le livre des brèves amours éternelles. Andreï Makine. Seuil, 194 pages.