Le 3 février dernier est mort à Paris Édouard Glissant, grand penseur de la créolité, qui est pour lui un phénomène mondial.

Ce recueil d'entretiens réalisés entre 1991 et 2009 par la Québécoise Lise Gauvin, paru récemment chez Gallimard, n'en est que plus précieux, afin de mieux comprendre l'entreprise poétique et philosophique de l'homme, dont le discours avant-gardiste et complexe a précédé les concepts parfois assez pauvres de mondialisation.

Ce qui se dégage de ces entretiens, c'est l'optimisme de Glissant pour ce Tout-Monde auquel il faut tendre, et c'est en quelque sorte un réconfort au moment même où les chantres de l'identité unique durcissent leurs positions.

«Chaque fois qu'on lie expressément le problème de la langue au problème de l'identité, à mon avis, on commet une erreur parce que, précisément, ce qui caractérise notre temps, c'est ce que j'appelle l'imaginaire des langues, c'est-à-dire la présence à toutes les langues du monde.»

Il ne croit pas à l'esperanto, pas plus qu'à une domination de l'anglais, mais à une cohabitation et une interdépendance des langues à égalité. «On ne peut plus écrire une langue de manière monolingue» dit-il.

«On peut ne pas parler d'autres langues que la sienne. C'est plutôt la manière même de parler sa propre langue, de la parler fermée ou ouverte; de la parler dans l'ignorance de la présence des autres langues ou dans la prescience que les autres langues existent et qu'elles nous influencent sans même qu'on le sache.»

Ce métissage n'est pas pour Glissant l'avènement d'un «n'importe quoi», il ne met pas de côté la nécessité de définir des identités et des lieux, mais plus importante encore est «la nécessité de l'ouvrir, c'est-à-dire de ne pas s'en tenir à des définitions». Et la poésie a là-dedans un rôle fondamental à jouer dans le changement des imaginaires des humanités...

L'imaginaire des langues

Édouard Glissant - entretiens avec Lise Gauvin (1991-2009)

Gallimard, 117 pages