Le premier poursuit depuis plus de 45 ans une oeuvre cohérente et mélancolique. La seconde est toute jeune et signe son premier livre. Tous deux publient cette semaine un recueil de nouvelles dont les personnages partagent une solitude glaçante.

Les grands pessimistes trouveront Gilles Archambault lucide, les autres s'inquièteront de le voir si triste dans ce beau recueil de nouvelles, Un promeneur en novembre.

Rien ne dure ici, pas même ce qui devrait durer toujours, comme l'amour pour ses enfants ou ses parents. Quant à l'amour conjugal, s'il persiste, c'est dans l'inquiétude de voir mourir l'être aimé.

Il est bouleversant d'apprendre presque par hasard, en refermant le livre, que l'écrivain vient tout juste de perdre sa femme, avec qui il a partagé plus de 50 ans. On comprend que les circonstances aient pu assombrir son regard, bien que son pessimisme tranquille accompagne son oeuvre depuis longtemps.

«J'ai déjà eu 20 ans. Tout aussi malheureux que je le suis à 60, je tenais au moins pour éloignée la présence de la mort», fait-il dire à l'un de ses personnages.

Gilles Archambault débusque ce qui rend la vie triste et s'y attarde. Les regrets d'avoir gâché ses plus belles années, les relations de couple impossibles, la famille disloquée, le vieillissement et ses pertes, la mort toujours présente. Souvent, les enfants coupent les ponts avec leurs parents, les frères et soeurs ne se parlent plus. Une grand-mère s'ennuie à son repas d'anniversaire, divisée entre l'amour réel qu'elle (porte) à sa progéniture et le regret d'avoir gaspillé sa vie. Les hommes rejettent la paternité ou regrettent de ne pas avoir été à la hauteur de leur rôle de père. Les personnages se montrent désabusés, parfois mesquins ou misanthropes.

Un jeune père écrasé par sa nouvelle vie avoue à un ami qu'il n'aurait sans doute pas souhaité que son fils naisse. «Souris, petit homme, se dit-il», en regardant son bébé dormir, «il sera toujours temps de laisser pénétrer en toi cette tristesse qui ne manquera pas de venir».

La «dernière lueur», le «dernier souvenir de bonheur» qu'on nous promet en quatrième de couverture, on l'entrevoit un peu, à partir du milieu du livre. Les 17 nouvelles se succèdent dans une lente marche vers une acceptation résignée - comme cette jeune femme prête à vivre avec n'importe qui plutôt que de vivre seule - ou mieux, vers le bref espoir que des instants de bonheur sont possibles. Peut-être. Même si cela impose de rompre avec le père de son enfant à naître.

Si on reconnaît dans ces courtes histoires la voix du chroniqueur qui livre un billet d'humeur hebdomadaire à la radio de Radio-Canada, on n'y retrouve pas, ou si peu, sa douce ironie. Elles forment malgré tout un recueil cohérent, à l'écriture limpide, qui se lit d'un seul souffle. On y observe, en concentré, les difficiles relations avec nos semblables, notre incapacité à apprécier ce qui nous est donné.

Mais comment adhérer à une vision aussi désabusée sans sombrer à son tour? Comme si ressasser quelques bons souvenirs était le seul bonheur possible ici-bas.

Quand l'absurde sauve le quotidien

Les enfants moroses de Fannie Loiselle partagent avec les personnages d'Archambault une grande solitude. Contrairement à ceux d'Un promeneur en novembre, ils sont tous plutôt jeunes. Ils voient des amis, font la fête, mais mènent le plus souvent une vie tranquille. Chacun dans sa bulle.

De très courtes nouvelles, toutes racontées à la première personne, s'entrecroisent. Chacune raconte des moments de folie passagère, des pointes d'absurdité surgies de la banalité et qui ajoutent une petite flamme à l'ennui. Un jeune homme nouvellement célibataire s'installe dans le décor de salon d'un grand magasin pour écouter la télé. Une fille qui se gèle dans un parc aquatique mange le pique-nique d'une famille d'inconnus en s'enveloppant dans leur couverture. Une autre vit au rythme de son voisin qu'elle ne connaît que par les bruits provenant de son appartement. Une autre encore cuisine une recette de pain aux bananes trouvée au dos d'une lettre de rupture jetée dans son bac de recyclage. Un homme plante sa copine sans avertissement et détalle dans la «savane» du parc Safari...

L'auteure s'est amusée à cacher les relations entre ses narrateurs, laissant au lecteur le plaisir de les démêler: Audrey est la soeur de Sarah (à moins que ce soit Camille?) et l'amie de Léanne, qui est la voisine d'Éric, l'ex de Camille, qui est l'amie de Sarah... Il y a aussi Christophe, ami d'enfance d'Éric, et qui fréquente Audrey...

Des phrases courtes, presque télégraphiques, donnent vie à ces instants de délinquance et d'irrationalité. Un joli moment de lecture.

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Un promeneur solitaire. Gilles Archambault. Boréal, 237 pages.

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Les enfants moroses. Fannie Loiselle. Marchand de feuilles, 140 pages.