L'univers des personnages du deuxième roman de Sophie Bouchard, Les bouteilles, est on ne peut plus clos. Dans un phare au milieu du fleuve, trois êtres se côtoient et se déchirent: Cyril, le gardien qui y veille depuis 25 ans, Clovis, qui a pour mission de l'automatiser, et son amoureuse Frida. Mais le mouvement des vagues et du monde ouvre la perspective de ce très beau livre, écrit avec beaucoup de délicatesse.

Livre d'eau et de vent, éthéré et pourtant concret, Les bouteilles hypnotise et séduit. Par petites touches, le passé des trois protagonistes est expliqué: pourquoi sont-ils enfermés là, qu'est-ce qu'ils cherchent? Clovis a un compte à régler avec la mer. Frida, elle, a voulu fuir son «dépotoir à souvenirs» mais se sent délaissée et s'éteint lentement.

Mais c'est le passé de Cyril qui est le courant de fond des Bouteilles. Le vieux gardien de phare est hanté par un amour, ravivé par une bouteille jetée à la mer qui lui est parvenue. Il y a lontemps, Cyril a vécu, aimé, travaillé en Afrique. Mais le sentiment d'être inutile a pris le dessus et Cyril est parti, laissant son amour, Rosée, derrière lui. Vingt-cinq ans plus tard, talonné par Frida, il se souvient. Le récit de sa débâcle sera aussi celui du jeune couple qui vit à ses côtés. La tempête ébranlera les fondations du phare et ne fera pas de quartier.

Roman d'amour et d'espoirs déçus, Les bouteilles est aussi un roman écologique imprégné par la présence de l'eau. Les grands paradoxes de l'humanité y sont démontrés en courtes phrases qui vont et viennent, tel le ressac sur la plage: l'opulence et le gaspillage occidentaux contre la sécheresse et la famine africaines; l'océan vidé de ses poissons pour nourrir des populations situées à des dizaines de milliers de kilomètres; la banalisation des boat people. Des constats désolants qui, mis bout à bout, sont d'une profonde tristesse. Et même si l'histoire se termine sur une note d'espoir, la renaissance de Frida, il y a cette dernière phrase, toute petite: «On a soif», qui résonne longtemps après qu'on ait refermé le livre.

_____________________________________________________________________________

* * * 1/2

Les bouteilles. Sophie Bouchard. La Peuplade, 190 pages.