Couronné par le prix Femina étranger au début du mois de novembre, Purge, de la Norvégienne Sofi Oksanen, est un coup de poing, une oeuvre-choc dont on ne sort pas indemne. L'auteure prodige de 33 ans a connu un grand succès dans les pays nordiques avec ce troisième roman, mais son intérêt ne se limite pas qu'à cette région géographique.

Campé en Estonie et chevauchant deux époques - la Seconde Guerre mondiale et les années de guerre froide qui ont suivi, puis le début des années 90, au moment où l'ex-république de l'Union soviétique retrouve son indépendance -, Purge est traversé par un climat de peur et d'oppression qui ne s'allège jamais.

Deux femmes, Aliide, vieille dame qui porte un lourd secret, et Zara, jeune fille en fuite, partagent la honte d'un corps bafoué, utilisé, martyrisé. Bien sûr, il y a ce secret de famille qui les unit, la rivalité qui a eu un impact funeste sur la vie d'Aliide et sa soeur Ingel. Mais c'est d'abord la violence exercée contre le corps des femmes qui est la trame de fond de Purge, qui ne devient pas pour autant un pamphlet et qui est porté par un véritable souffle.

Zara est victime de trafic humain, sous la coupe d'un mafieux pour qui tous les avilissements sont possibles, et trouve refuge chez Aliide après un long périple. Cette dernière reconnaît la peur et la honte qu'elle porte puisqu'elles sont siennes. Au début de l'occupation soviétique, en 1947, Aliide a été accusée d'avoir aidé les rebelles nationalistes, puis torturée et violée.

Ce sont probablement les pages les plus dures du livre, les plus insoutenables aussi - pourtant rien n'y est décrit - alors que les passages qui concernent les sévices subis par Zara sont beaucoup plus crus. Détachée d'elle-même, Aliide observe la scène et c'est probablement pour cette raison qu'elle fait si mal: «Quand la peau nue de la femme toucha les dalles, la femme ne bougeait plus. La femme la tête dans le sac au milieu de la pièce était une étrangère et Aliide était partie.» Aliide ne connaîtra plus jamais la paix, ira jusqu'à épouser un homme du parti pour protéger son secret mais ne regardera plus jamais quelqu'un dans les yeux.

Les histoires des deux femmes sont distillées avec parcimonie et tiennent en haleine jusqu'au bout, malgré une fin qui manque un peu de limpidité. Ce qui est clair, cependant, c'est qu'une vie passée dans un climat de délation, de suspicion et de terreur comme le régime soviétique a pu l'instaurer à cette époque ne peut qu'être triste et vaine.

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Purge. Sofi Oksanen. Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli Stock, 400 pages.