Mardi, le collègue Mario Girard lançait son premier ouvrage, intitulé Les belles-soeurs - L'oeuvre qui a tout changé. Pour l'occasion, La Presse jette un éclairage sur un personnage phare de ce classique du théâtre: Germaine Lauzon.

Au théâtre, la revanche est douce au coeur des antihéroïnes, surtout si elles ont été élevées dans le Québec de Maurice Duplessis, entourées de grenouilles de bénitier et de maris frustrés. En 1965, Michel Tremblay a écrit une pièce pour venger les femmes qui «peupleront sa vie et sa fiction». Et cette bombe résonne encore!

À l'instar d'autres femmes «nées pour un petit pain», Germaine Lauzon représente son milieu et son époque. Elle obéit à son mari et aux curés. Elle est en éternel conflit avec sa famille et ses enfants. Elle ne sort pratiquement pas de la maison. Et son bonheur dépend toujours des autres.

Un jour, Germaine gagne un million de timbres-primes dans un concours. La sainte femme croit que son trésor va combler sa vie. Elle expose enfin sa joie, sans la moindre considération pour ses proches. Elle va vite perdre ses illusions. Car il y a une chose, précieuse, qu'aucun concours ne peut offrir à une pauvre femme: la dignité.

«Germaine pense que ses biens matériels vont combler son vide affectif sidéral», explique le producteur Jean-Bernard Hébert qui a présenté Les belles-soeurs à trois reprises au début des années 2000.

«Pour moi, Germaine Lauzon, c'est un peu la Bertha Latour d'Un simple soldat de Marcel Dubé, une décennie plus tard. Elle s'est toujours privée de tout, et soudainement, elle remporte un million de timbres-primes. En 1965, on a fait le calcul, c'est presque deux millions en dollars constants!».

Pour remplir ses livrets, Germaine convie amies, voisines et soeurs à un «party de collage de timbres». Elle donne des ordres et se comporte en « p'tit boss ». Elle rêve tout haut des articles qu'elle achètera dans le gros «cataloye» pour meubler sa «maison neuve». «Au moins, si Germaine avait eu la gentillesse de donner une poignée de livrets à ses amies venues l'aider chez elle. Mais il n'y aurait pas eu de pièce», résume Marie-Thérèse Fortin, qui a interprété la mauvaise gagnante dans le spectacle musical Belles-Soeurs

Pouvoir instantané

«C'est une pauvre femme qui a manqué de tout, toute sa vie. Et pas seulement d'argent, mais aussi d'amour, d'affection et de liberté», dit la comédienne Denise Gagnon, qui a joué Germaine au Trident. «Du coup, elle gagne un gros lot extraordinaire qui lui donne un pouvoir aussi énorme qu'inespéré sur ses proches.»

Francine Ruel se souvient d'avoir joué ce personnage comico-tragique chez Duceppe, dans une mise en scène de Denise Filiatrault, en portant un diadème sur la tête. «Germaine, c'est une reine en représentation qui met en scène le spectacle de son bonheur. Sa chute finale en est d'autant plus terrible», dit-elle. 

La comédienne qu'on voit souvent au petit écran (Scoop, Diva, L'imposteur) estime que Michel Tremblay a une «tendresse incommensurable» pour ce personnage qui représente l'archétype de la mère québécoise misérabiliste d'avant la Révolution tranquille. 

À 20 ans d'écart, Josée Beaulieu a joué à la fois la mère et la fille Lauzon. «Ça a bouclé la boucle, dit-elle. J'ai compris à la fois la révolte de Linda et le découragement de Germaine: elle veut à tout prix sortir de sa condition familiale et sociale.»

Pour Louison Danis, Germaine est rien de moins que l'un des plus grands rôles dramatiques de sa carrière!

«Selon moi, le spleen de Germaine est aussi tragique que celui de l'Infante dans Le Cid de Corneille [que j'ai joué]. C'est une femme qui souffre en espérant un avenir meilleur. Or, elle est incapable de s'accepter ni de s'aimer. Car pour aimer les autres, il faut d'abord pouvoir s'aimer.»

Celle qui a aussi incarné maman Bougon au petit écran estime qu'avec Germaine Lauzon, Tremblay a écrit «une grande tragédie sur la misère humaine». Celle de l'impossible partage dans la société, ce qui, bien sûr, est éternel et universel. «Parce qu'elle n'a pas su partager son rêve, Germaine est ramenée brutalement à l'ordre par ses soeurs», écrit-on dans l'ouvrage Les personnages du théâtre québécois (L'instant même). «Elle a tenté le diable en faisant miroiter son magot: elle a tout perdu, trésor et amies.»

Pas facile d'en finir avec sa condition.

Elles ont joué Germaine Lauzon...

Denise Gagnon: À l'hiver 1991 au Théâtre du Trident, à Québec

Francine Ruel: Au Théâtre Jean-Duceppe, en février et mars 1993, puis en tournée québécoise 

Louison Danis: À l'été 2003 au Bateau-Théâtre L'Escale

Josée Beaulieu: À l'été 2004 au Théâtre de la Dame Blanche, puis en tournée

Marie-Thérèse Fortin: Belles-soeurs, le spectacle musical, entre 2010 et 2014, à Montréal, Joliette, Paris et en tournée

Photo fournie Productions Jean-Bernard Hébert

Louison Danis a joué Germaine Lauzon en 2003

PHOTO FOURNIE PAR LES PRODUCTIONS JEAN-BERNARD HÉBERT

Josée Beaulieu a joué Germaine Lauzon en 2004.