De 1940 à 1965, Montréal a eu son orchestre féminin. Véritable révolution dans l'univers codé et machiste de la musique classique, cet orchestre composé exclusivement de musiciennes a même présenté un concert au Carnegie Hall de New York en 1947. Points saillants d'un livre qui raconte cette aventure unique.

Le contexte

Au début du XXe siècle, une femme qui jouait un instrument de musique ajoutait un atout à l'éventail de ses charmes. Au mieux, elle pouvait aspirer à devenir professeure de piano. Mais jamais au grand jamais on ne l'encourageait à jouer d'un instrument dit masculin (comme un instrument à vent, par exemple) ou à envisager une carrière de musicienne. Les femmes, comme les Noirs d'ailleurs, jugés irrationnels, n'étaient tout simplement pas acceptés au sein des orchestres.

Ethel Stark

Fille d'immigrés autrichiens très ouverts d'esprit, la jeune violoniste Ethel Stark a toujours bénéficié de l'appui de ses parents. Elle a grandi à Montréal dans une famille non conventionnelle où les filles étaient élevées sur un pied d'égalité avec les garçons. Ses parents étaient engagés socialement, sa mère était féministe et Ethel a été la première femme à être admise au programme de direction d'orchestre du Curtis Institute of Music, à Philadelphie. Son professeur Fritz Reiner, un homme qui n'était pas particulièrement ouvert à la présence des femmes dans les orchestres, lui donna sa première chance comme soliste lors d'un concert présenté sur la NBC.

New York

Ethel Stark est embauchée à l'émission Hour of Charm, là où les musiciennes sont valorisées davantage pour leur apparence (elles doivent être célibataires, blanches, peser 54 kg ou moins) que pour leur talent. La jeune Ethel a les deux et ce contrat lui permet de gagner sa vie. En 1938, avec une amie, elle fonde le New York Women's Chamber Orchestra (NYWCO), ensemble de femmes dont elle sera la chef d'orchestre. Une première, il va sans dire.

Madge Bowen

La rencontre avec Madge Bowen sera un tournant dans la vie d'Ethel. La dame issue de la haute société montréalaise lui demande de fonder un ensemble musical féminin comme celui de New York. La jeune musicienne refuse et propose plutôt de fonder un orchestre symphonique, avec 80 à 100 musiciennes, des instruments à vent, des percussions, des cuivres, etc. «Madge et Ethel furent agréablement surprises par ce qu'elles découvrirent parmi les femmes à Montréal, peut-on lire dans Partition pour femmes et orchestre. Malgré les préjugés véhiculés au début de ce siècle au sujet des instruments "réservés aux hommes", une enquête menée sur la scène musicale montréalaise révéla que nombre de femmes, en lieu et place des instruments à cordes, préféraient pouvoir jouer des instruments à vent, des cuivres et des percussions.»

La Symphonie féminine de Montréal

L'orchestre rêvé par Ethel et Madge verra le jour et accueillera dans ses rangs des femmes de toutes origines ethniques et classes sociales. La carrière de la Symphonie féminine de Montréal durera 25 ans. Des problèmes de financement et une pénurie de musiciennes (les femmes étaient recrutées par d'autres orchestres) provoqueront sa fermeture. L'Orchestre symphonique de Montréal ne reconnut jamais le talent d'Ethel Stark qui fut toujours considérée comme une femme trop en avance sur son époque.

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Partition pour femmes et orchestre. Ethel Stark et la Symphonie féminine de Montréal. Maria Noriega Rachwal. Traduction de Marie-Célie Agnant. Les éditions du remue-ménage. 207 pages.

image fournie par Les éditions du remue-ménage