Depuis 2008, une équipe d'historiens au parlement de Québec a rassemblé les meilleurs moments de notre vie parlementaire à partir d'une titanesque reconstitution des débats: 75 000 pages de texte reconstruites à partir des journaux d'époque, de 1867 à 1962.

Histoire parlementaire du Québec, 1928-1962, publié chez Septentrion, vise à «faire la synthèse des grandes questions ayant fait l'objet de discussions à l'Assemblée législative», explique Christian Blais, historien et responsable de l'équipe d'une dizaine de chercheurs. L'ouvrage de 800 pages, au texte serré, est truffé d'anecdotes et de révélations surprenantes, il offre au lecteur paresseux un raccourci appréciable: chacun des 38 chapitres se termine par une rubrique plus légère, «les bons mots de la session». En voici quelques morceaux choisis.

Le discours le plus long

Aimé Guertin, député conservateur de Hull, détient le record du discours le plus long prononcé à l'Assemblée législative. Il parle durant huit heures dans la nuit du 1er au 2 avril 1931. [...]

Les heures passent. «Des députés dorment, le premier ministre bâille et s'étire, on jase dans les coins», note le courriériste du Devoir. Celui du Soleil complète le tableau: «Des députés charitables eurent pitié de lui et firent aligner sur son pupitre une rangée de verres d'eau. D'autres lui firent tenir un paquet de gomme à mâcher. Sans aucune honte, le député de Hull, qui a pour le "Chiclet" une prédilection toute spéciale, en engloutit quelques palettes et continua de mâcher de la gomme et des mots.»

Il poursuivra son discours pendant toute la nuit... jusqu'au lever du jour. «Messieurs les députés s'éveillèrent du sommeil de la nuit, montrant des têtes ébouriffées et des faces barbues», rapporte Le Soleil.

Les routes de traverse

En avril 1935, Hortensius Béïque, député conservateur de Chambly, est forcé de retirer ses paroles après avoir dit que «les routes sont croches comme le gouvernement». Il accepte volontiers de se corriger. «Je vais dire que les routes ne sont pas croches comme le gouvernement.»

La série télé mythique Duplessis avait pris un petit raccourci avec l'histoire en inventant un échange entre Duplessis et Taschereau. On voyait Jean Lapointe admonester le premier ministre, soutenant qu'il avait construit pour l'île d'Orléans un pont à son image: «Long, étroit et proche de la chute.» En réalité, c'est le docteur Philippe Hamel qui avait manié l'ironie, comparant le gouvernement à un pont «long, étroit, croche et coûtant très cher à la province». D'autres députés s'étaient chargés de crier: «Et proche de la chute»... Montmorency.

Dormir en chambre

Lors d'une interminable discussion sur la refonte du Code de la route, qui se déroule tard dans la soirée du 15 juin 1962 par une chaleur suffocante - il fait 27,8 °C dans l'enceinte de l'Assemblée -, quelques députés ont peine à résister aux bras de Morphée. Daniel Johnson et Jean Lesage s'amusent à leurs dépens, s'en prenant respectivement à un député de l'équipe adverse:

M. Laroche (député de Portneuf) dort à son siège.

M. Johnson (député de Bagot): «Que le gouvernement soit réaliste. Qu'il prenne des mesures sensées. Ainsi, par exemple, dans le comté de Portneuf!» (Avec une voix plus forte) «Dans le comté de Portneuf!»

M. Laroche sort de la torpeur qui l'envahissait et se frotte les yeux.

M. Johnson: «Il faut une grande expérience parlementaire pour réussir ainsi à dormir en Chambre sans déranger les autres députés.»

Attentat raté

Lorsque Louis-Alexandre Taschereau entre dans son bureau le 26 février 1929, il pose le pied sur un bâton de dynamite dont la mèche a été allumée, puis éteinte. Deux jours plus tard, le premier ministre informe la Chambre de l'incident: «[...] Mardi soir, quelqu'un s'est introduit dans mon bureau. En revenant de la séance du comité des bills privés, j'ai trouvé, en y entrant, une cartouche de dynamite capable, si l'on en croit les experts, de faire sauter toute la partie de l'aile du parlement où se trouvent mes bureaux et qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour la vie des personnes occupant la bâtisse. Une bonne Providence a bien voulu souffler sur la mèche peu de temps après qu'elle eut été allumée et elle s'est éteinte. Je lui en suis reconnaissant.»

Le prix de l'essence

La question du prix de l'essence traverse les décennies. Déjà en 1937, Oscar Drouin réclame une commission d'enquête sur les prix. «Les prix de la gazoline sont excessifs. Nous payons l'essence plus cher qu'aux États-Unis, parce qu'il y a une combine. Tout ce commerce est entre les mains de la Standard Oil du New Jersey ou d'un syndicat anglo-hollandais. J'attire l'attention de mes compatriotes sur la nécessité de démolir ce trust s'ils ne veulent pas rester pauvres pendant que les autres races s'enrichissent. Sans doute voit-on des Canadiens français qui sont employés de ces stations de gazoline, des pompeurs de pneu, des essuyeurs de vitres, des balayeurs, mais enfin tout le gros de l'argent qui découle de ce commerce, zéro, trois fois zéro, ça va aux États-Unis. Voilà ce qu'il nous reste.»

Réduire l'hiver québécois

Personnalité hors norme, René Chaloult avait suggéré de réduire l'hiver au Québec et c'était en 1947, bien avant le débat sur le réchauffement climatique!

«Il fait très froid aujourd'hui. De fait, à Québec on est en hiver. On dira que je verse dans l'utopie, mais je me demande si nous ne devrions pas chercher un moyen d'adoucir notre climat. Il serait peut-être souhaitable de réchauffer notre climat. [...] Il serait possible de prolonger l'été canadien de deux mois, soit un mois au commencement, au printemps, et un mois à la fin, à l'automne, en fermant le détroit de Belle Isle. À cause de la rotation de la Terre, les glaces qui descendent des régions arctiques ont tendance à y entrer et nous avons des eaux glacées dans le golfe douze mois par année. [...] Il s'agit d'un projet dont le coût serait de 100 millions de dollars ou un peu plus. Ça peut paraître paradoxal, mais ce n'est pas irréalisable.»

Parce qu'on est en... 1940!

Depuis l'inscription du projet dans le programme libéral en 1938, le droit de vote des femmes est une question sérieuse. Le 11 avril, le premier ministre Adélard Godbout prononce un discours historique sur le principe de cette loi. Il accrédite l'idée qu'il a mis son poste en jeu pour convaincre les autorités religieuses et il souhaite l'unanimité de la Chambre sur cette question. Maurice Duplessis rappelle que le premier ministre Godbout a naguère voté contre le droit de vote des femmes et que des libéraux reconnus, tels Wilfrid Laurier, Rodolphe Lemieux ou Ernest Lapointe, ont combattu ce principe. «Justement, répond Godbout, les temps ont changé» et la société québécoise est maintenant prête à faire une place aux femmes. La loi est adoptée le 18 avril et sanctionnée le 25 avril 1940. Il faudra néanmoins attendre encore 21 ans avant qu'une première femme soit élue à l'Assemblée législative.

Le fleurdelysé

Le 21 janvier 1948 est une date importante de l'histoire du Québec. Duplessis annonce alors aux députés qu'un arrêté ministériel a été proposé, en matinée, par Jean-Paul Beaulieu, ministre de l'Industrie et du Commerce. Cet arrêté a été adopté à l'unanimité par les membres du cabinet exécutif et sanctionné immédiatement par le lieutenant-gouverneur. À 15 h 10 exactement, Duplessis se lève:

«En vertu de cet arrêté ministériel, un drapeau officiel est donné à notre province et, au moment même où je vous parle, ce drapeau, qui est en conformité avec nos traditions et nos aspirations, est déjà arboré sur la tour centrale du parlement.

«[...] nous avons cependant fait subir certaines modifications au dessin du drapeau. Nous avons fait redresser les fleurs de lis. Comme elles apparaissaient légèrement penchées aux quatre coins du drapeau, ordre a été donné pour qu'elles se dressent à l'avenir bien droites vers le ciel, afin de bien indiquer la valeur de nos traditions et la force de nos convictions.»

Image fournie par Septentrion

Histoire parlementaire du Québec, 1928-1962