L'auteur Louis Hamelin persiste et signe : s'il est convaincu que la mort de Pierre Laporte est le résultat d'une sorte d'accident, «le noeud de l'affaire est qu'on permit à cet accident d'arriver», écrit-t-il dans l'essai Fabrications, qu'il a lancé jeudi aux Presses de l'Université de Montréal.

L'auteur affirme entre autres que les forces policières ont volontairement laissé perdurer la crise qui a mené à la mort du ministre du Travail libéral, permettant ainsi de justifier une intervention qui était déjà préparée.

Fabrications, qui est à la fois essai littéraire, historique et politique, raconte les huit années de recherche que l'auteur a consacrées à l'écriture de La constellation du lynx, roman sur la crise d'Octobre paru en 2010.

À la sortie du roman, Hamelin disait que la fiction servait à «combler les trous» de l'histoire officielle. Aujourd'hui, il reprend à découvert les mêmes théories qu'il y avançait. Il admet que «parce que c'était un romancier qui parlait, on ne le prenait peut-être pas au sérieux».

Démonter la version officielle

En affirmant que la police connaissait depuis plusieurs mois la planque de la rue Armstrong, où Pierre Laporte a été séquestré, que les frères Rose étaient connus depuis deux ans avant la crise, que les ravisseurs de James Cross étaient surveillés avant même l'enlèvement du diplomate anglais, Louis Hamelin va à l'encontre de la version officielle de l'histoire, qui veut que la police ait été complètement désorganisée et prise au dépourvu.

«Le rapport du commissaire Duchesne [en 1981], par exemple, dit que la police ne connaissait ni les ravisseurs ni la maison, alors que deux grandes enquêtes, une du Toronto Star en 1973 et une autre de la CBC, en 1975, affirment le contraire. Mais on dirait que personne n'a jamais tenu compte de ces enquêtes, qui étaient très fouillées.»

Louis Hamelin ne se prétend pas historien, mais affirme que c'est en en lisant, analysant, recoupant le procès-verbal des procès, les correspondances, les articles de journaux, et en parlant à des acteurs de l'époque, anciens policiers ou ex-felquistes, qu'il tire ces conclusions. Il a parcouru au cours de ses recherches des milliers de pages sur Octobre 70.

«Bien sûr, une partie de moi doute encore, et ce doute est présent dans mon essai. Mais en même temps, je suis probablement davantage convaincu maintenant de ce que j'avance que lorsque La constellation du lynx est sorti, il y a quatre ans.»

Polémique

Même s'il se demande «qui ça intéresse encore, la crise d'Octobre», Louis Hamelin est prêt à la joute polémique si nécessaire. D'abord avec les gardiens de la mémoire felquiste, qui préfèrent selon lui se la jouer «héros» plutôt que de passer pour des gars maladroits à qui l'histoire a tout simplement échappé, et d'admettre qu'ils ont commis «une grande imprudence» en séquestrant un otage dans une maison connue de la police.

«Cette mort est le résultat d'une perte de contrôle au moment où ils ont voulu quitter la maison avec leur otage, et c'est important parce que ça en fait un acte non prémédité.»

Louis Hamelin est également prêt à la bataille verbale avec ceux qui verront dans ses propos une nouvelle théorie du complot.

«Je ne suis pas dans cette mouvance. Je ne crois pas que l'Opus Dei a tout manipulé, que le rapport d'autopsie de Pierre Laporte a été falsifié, qu'Octobre 70 ait un lien avec l'assassinat de JFK. Je crois que ce sont les felquistes qui ont tué Pierre Laporte et non un commando de l'armée qui est débarqué dans la maison, même si ce serait plus romanesque ! Mais je crois aussi qu'il faut être capable de réfléchir à la question des manipulations politiques ou policières sans se faire traiter de nébuleux conspirationniste. On peut essayer d'y réfléchir et d'en parler, parce que ça existe toujours et depuis longtemps.»

S'il est convaincu que la mort de Pierre Laporte était accidentelle et que pour lui le sujet est clos, le «gros sujet à controverse» reste donc le rôle des forces policières. «On n'en a peut-être pas fini tout à fait.» Surtout que de nouveaux rapports de police viendraient d'être déclassifiés et pourraient permettre d'autres découvertes.

«Je n'ai pas vérifié cette information encore. Mais je sais que d'autres ont pris le relai.» Lui, en tout cas, a l'impression d'avoir tout dit ce qu'il avait à dire. «J'avais un deuxième livre à faire, mais je ne veux pas passer ma vie à parler de la même chose.»