Le centenaire de la Première Guerre mondiale est à nos portes. Le 29 juillet prochain, il y aura un siècle que les premiers bombardements se sont fait entendre sur Belgrade, ce qui a déclenché l'un des conflits les plus meurtriers de l'ère moderne. Bilan: 9 millions de morts, 20 millions de blessés et une refonte considérable de la carte géopolitique avec ses nombreux - et durables - dommages collatéraux.

Stratégie oblige, le milieu de l'édition ne manquera pas de souligner cette commémoration majeure: on prévoit que des milliers de livres seront lancés dans diverses langues d'ici les quatre prochaines années.

Pierre Lemaitre a lancé les hostilités l'été dernier avec Au revoir là-haut, un «roman de guerre» qui lui a déjà valu le prix Goncourt.

Une deuxième salve, plus nourrie, a été envoyée juste avant les Fêtes. En voici un aperçu. Qui vous mettra en appétit. Ou pas.

Ultime et pompeux

Dès la quatrième de couverture, le ton est donné. La brique que vous tenez entre vos mains est rien de moins que «le livre de référence sur la Première Guerre mondiale», doublé d'une oeuvre «appelée à faire date».

Ces affirmations pompeuses devraient normalement venir de la critique et non de la maison d'édition. Cela nous rend d'ailleurs le livre antipathique d'entrée de jeu. Mais il est clair que cet ouvrage collectif, produit par une vaste équipe d'historiens, propose beaucoup plus qu'un travail de surface: nous sommes ici en plein territoire universitaire, avec tout ce que cela implique d'analyse, d'explications en profondeur et de notes bibliographiques (rien que dans le premier volume, il y en a pour 75 pages!). Bref, ce pavé cible plutôt les connaisseurs, et non le lecteur ordinaire, qui lui préférera probablement des ouvrages moins ambitieux.

Dans ce premier volume (Combats), on s'intéresse à la guerre sur tous les fronts, de l'Europe à l'Asie, afin de bien saisir les enjeux internationaux de ce conflit total. Les volumes 2 (États) et 3 (Sociétés) sont à venir.

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La Première Guerre mondiale. Volume 1. Combats. Collectif, sous la direction de Jay Winter. Fayard. 842 pages.

Une synthèse dynamique

Raconter la guerre autrement, c'est possible. Dans cette synthèse assez dynamique, les historiens André Loez et Nicolas Offenstadt proposent une lecture renouvelée de la Première Guerre mondiale à travers ses objets, ses mots-clés, ses anecdotes et des portraits de personnages plus ou moins connus qui ont vécu le conflit de diverses façons et en divers endroits.

Cette approche originale, qui aborde le conflit sous des angles variés, permet de comprendre la Grande Guerre à travers les petites choses. On y croise un héros indien de l'aviation (Hardit Singh Malik), un général français sadique (Mangin, père des «tirailleurs sénégalais») ou un pianiste allemand mutilé (Paul Wittgenstein) qui connaîtra une brillante carrière par la suite.

On y apprend que le mot «limoger» vient directement de la Grande Guerre (144 généraux français incompétents ont été «tablettés» à Limoges). On y explique les médailles, les fascicules de mobilisation, les masques à gaz, avec force illustrations.

Enfin, on nous raconte comment ce conflit est né et comment il a perduré dans nos mémoires. Il y a beaucoup de photos, le ton est simple, instructif, digeste. Si vous voulez commencer quelque part, voici exactement où.

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La Grande Guerre - Carnet du centenaire. André Loez et Nicolas Offenstadt. Albin Michel, 255 pages.

À hauteur de tranchées

Ils étaient 113 soldats dans cette compagnie de l'US Marine Corps. Certains ont survécu, d'autres ont été déchiquetés sur le champ de bataille. Certains ont tué de sang-froid, d'autres ne s'en sont psychologiquement jamais remis.

Dans ce livre de 1933, traduit en français pour la première fois, William March donne la parole à ses compagnons d'armes, laissant à chacun le soin de raconter «sa» guerre.

Mélange de beauté et d'horreur absolue, les 113 courtes vignettes (parfois moins d'une page) qui composent ce roman choral nous font voir la guerre à hauteur de tranchées, sans aucune complaisance.

Certains passages sont d'un réalisme brutal et révèlent une plume extraordinairement précise. Pas un mot de trop. Juste ce qu'il faut pour saisir l'instant, dans la vie comme dans la mort...

À noter que la dernière partie du livre, consacrée au retour des soldats à la maison, est aussi éloquente que les scènes de guerre. En témoigne le soldat Manuel Burt, qui finira par perdre la tête à force d'être poursuivi par le fantôme d'un Allemand qu'il avait achevé à la baïonnette...

Cette histoire serait réellement arrivée à l'auteur qui a mis plus de 10 ans à écrire ce livre, considéré à sa sortie comme un oeuvre phare de l'antimilitarisme.

* * * * 1/2

Compagnie K. William March. Gallmeister, 230 pages.

N'ajustez pas vos lunettes 3D

Ancêtre du cinéma 3D, la stéréoscopie fut une des grandes passions des années 1900. Partant de cette idée, Jean-Pierre Verney a voulu raconter la guerre de 14-18 en relief, avec ce coffret qui inclut une trentaine de photos noir et blanc et des lunettes stéréoscopiques pour regarder le tout.

Difficile de ne pas y voir une grosse «gimmick». Le résultat n'est d'ailleurs pas si spectaculaire, même si l'effet 3D fonctionne.

Mais l'idée est sympa et le tout est assorti d'un beau petit livre aux pages glacées, qui raconte la guerre en photos (surtout) et à travers des extraits littéraires et des témoignages marquants.

Une façon plus ludique de revenir sur ce conflit extrêmement douloureux.

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La Grande Guerre en Relief. Jean-Pierre Verney. Les Arènes, 172 pages.

Mon arrière-grand-père, ce héros

Auguste Laurence est un des ces innombrables «poilus» qui ont défendu la France entre 1914 et 1918. Il a passé quatre ans sur le front de guerre, et a participé à des batailles aussi meurtrières que Quennevières, la Somme et le chemin des Dames.

Décoré de la croix de guerre, il s'en est miraculeusement sorti, si ce n'est cette tuberculose attrapée dans les tranchées, qui finira par avoir raison de lui après son retour à la vie civile.

Une histoire comme tant d'autres et pourtant, pas tout à fait, puisque Auguste Laurence était mon arrière-grand-père et que ce bouquin fut écrit par son petit-fils, mon père, Gérard Laurence.

Si on en parle, ce n'est pas pour «ploguer» le livre - qui n'est d'ailleurs pas à vendre -, mais pour rendre hommage à un travail minutieux, qui s'est échelonné sur près de cinq ans. Témoin d'un genre littéraire de plus en plus répandu (la biographie familiale), cet ouvrage de 370 pages reconstitue les années de guerre d'un fantôme, en mélangeant les souvenirs personnels, les légendes familiales, les explications militaires et les faits historiques avérés, sans oublier les nombreuses photos et facsimilés de documents d'archives...

Le résultat est à la fois instructif et touchant. Instructif parce qu'on y apprend un tas de choses sur la Grande Guerre, le fonctionnement des armées et la psychologie des soldats. Touchant parce que ce devoir de mémoire n'a été imprimé qu'à huit exemplaires, chez un éditeur fictif, pour usage familial exclusif.

Pas à vendre, donc. Mais certainement digne de mention. Bravo papa.

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Auguste Laurence: un soldat dans la Grande Guerre. Gérard Laurence. Éditions du Petit Caporal, 370 pages.