Louise Forestier parle de son autobiographie depuis une bonne heure. Ce n'est plus une interview, c'est un spectacle, celui d'une femme énergique qui se raconte, précise, s'exclame, joue, chante et pouffe de son rire typique. Survol d'une vie pas ordinaire.

Quand elle a commencé à défricher le terrain pour son autobiographie Forestier, selon Louise, la chanteuse, comédienne et chroniqueuse ne savait pas si elle la publierait. Parce qu'elle est une artiste de l'oralité, elle a d'abord confié à son magnéto 13 heures d'une conversation à bâtons rompus avec son ami Georges Nicholson, histoire de réveiller ses souvenirs. Elle n'en a finalement rien conservé sinon des pistes, des moments marquants qui émailleraient son récit.

Le travail de défrichage a duré un an, la rédaction aussi. Dany Laferrière lui avait conseillé de ne pas commencer à écrire tant qu'elle aurait peur. «Le lendemain, je n'avais plus peur, dit-elle. Je me suis dit: ton personnage c'est toi, tu ne peux pas le décevoir, profites-en! Ce que j'ai écrit n'a jamais été souffrant: c'était le bonheur total.»

Écrire un livre, ce n'est pas comme écrire un texte de chanson, concède-t-elle, «mais la chanson est une école extraordinaire pour apprendre la concision, la rigueur et ne pas te regarder écrire». Sa première mouture faisait à peine 140 pages. À la suggestion de son fils Alexis, qui en réclamait davantage, elle s'est remise à l'écriture: «J'ai engraissé des trucs en faisant attention de ne pas verser dans la complaisance».

Ce n'était certes pas la matière qui manquait, de la petite Louise Bellehumeur de Shawinigan à la Forestier, de la famille absente aux amours difficiles, de l'extase à la dépression. Forestier, selon Louise est également un survol fascinant d'un pan essentiel de la chanson québécoise des 50 dernières années. La liste des spectacles et des films auxquels a participé Louise Forestier est impressionnante: L'Osstidcho, Demain matin, Montréal m'attend, Starmania, Nelligan, IXE-13, Les ordres, sans compter les nombreux concerts de «la première chanteuse qui écrit en joual et chante en joual», et le fameux spectacle de la Saint-Jean sur le mont Royal où Vigneault a créé Gens du pays avec Yvon Deschamps et elle.

Un drive effrayant

Elle raconte également des choses moins connues: sa rencontre avec Mary Travers du trio folk Peter, Paul and Mary qui l'a encouragée à chanter alors qu'elle était ouvreuse à la Place des Arts; le culot inouï dont elle a fait preuve pour chanter en première partie de Nina Simone au Bitter End de New York au milieu des années 60; son show, quelques années plus tard, au Black Bottom de Montréal, pendant lequel elle sentait bouger son fils Alexis dans son ventre.

«J'avais un drive effrayant, ça me brûlait: le feu me sortait par en dessous des pieds et par le bout des doigts.» Cette énergie lui a servi à lutter contre son angoisse, son mal de vivre: «Le seul moment, dans le fond, où je suis vraiment bien, apaisée, c'est quand je chante et quand je suis en amour. Mais l'amour, ça s'est usé plus vite que la carrière».

C'est aussi ce drive qui lui a permis de s'affranchir de sa famille: de ses deux soeurs qu'elle ne nomme pas, de son frère qui faisait des séjours à l'hôpital psychiatrique, de sa mère dont elle parle peu - «elle n'a pas été beaucoup ma mère», explique-t-elle - et de ce père génial, mais loser qui s'est mis à vivre sa vie à travers celle de sa fille jusqu'à en devenir fou, mais qui lui aura tout de même légué sa voix et sa ténacité. Enfin, il y a surtout le fils Alexis qui lui a vraiment appris l'amour.

On s'étonne pourtant que Louise Forestier s'interdise de nommer un certain nombre d'acteurs importants de sa vie: des agents, des producteurs, des musiciens, des amoureux... Pour ne pas blesser leurs proches, explique-t-elle, mais aussi parce que ça lui donnait plus de liberté: «Je peux décrire le personnage, lui donner une aura plus mystérieuse ou mettre un peu de glaçage sur le gâteau s'il n'y en avait pas assez. C'est comme un petit espace pour faire de la fabulation».

Aujourd'hui, Louise Forestier a le goût de poursuivre son travail d'écriture en s'attaquant à la fiction. Elle tient déjà son sujet pour ce qui sera probablement un recueil de nouvelles.

«Je suis en train de me détacher beaucoup de la chanson», dit-elle. Pourtant, un nouvel album avec son fils Alexis n'est pas exclu et elle parle même d'écrire une chanson sur son peintre préféré, Francis Bacon, avec Pierre-Alexandre Bouchard, membre, comme Alexis, du groupe El Motor.

«Je ne ferme pas la porte, corrige-t-elle. Je dors toujours la porte ouverte.»

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Forestier, selon Louise, Louise Forestier, Les Éditions La Presse, 240 pages.