Groupe mythique dont on fredonne toujours les chansons - La complainte du phoque en Alaska, ça vous dit quelque chose? - la formation québécoise Beau Dommage fête ses 35 ans d'existence cette année. Après l'intégrale en 5 CD et 2 DVD (L'album de famille, lancé en mars dernier), voici la biographie: Tellement on s'aimait, rédigée par l'historien Robert Thérien, avec rigueur et vivacité. Cré-moé, cré-moé pas, on s'ennuie pas pantoute en la lisant...

Vous saviez, vous, que Gilles Latulippe a failli être le premier interprète de la belle chanson Montréal de Beau Dommage? Que le groupe a fait une méga-tournée avec Julien Clerc en France? Que le tout premier disque de la célèbre formation - avant qu'elle ne porte son tout aussi célèbre nom - était un album de la musique de l'émission pour enfants Les Chiboukis?

 

Tout cela et bien, bien d'autres choses, on les apprend dans Beau Dommage - Tellement on s'aimait, biographie du groupe rédigée par l'historien en musique Robert Thérien, en magasin mardi. Pour vous situer, Robert Thérien, c'est celui que tous les journalistes interviewent quand ils ont à faire un reportage sur un phénomène ou une tendance de la musique québécoise, que toutes les compagnies de disques engagent pour rédiger leurs livrets au moment de la sortie de compilations, et c'est l'auteur d'un Dictionnaire de la musique populaire au Québec qui fait encore autorité, 17 ans après sa publication!

Bref, pour ce qui est de la rigueur, on n'a pas de crainte: que ce soit la date de tel spectacle ou le nombre d'exemplaires vendus, tout a été vérifié autant que faire se peut. Et pour ce qui est de la plume de Thérien, pas de problème non plus: il profite de cette intéressante biographie pour nous inviter à écouter tel disque, s'indigner quand un vinyle digne d'être numérisé ne l'a pas encore été, expliquer l'importance de tel ou tel fait dans l'évolution du groupe et de la musique québécoise. «J'ai rédigé le texte comme s'il s'agissait de celui d'une conférence que j'allais donner, et comme je suis le genre de gars à parler avec ses mains...» explique-t-il à propos de son style «parlé», appliqué à l'histoire du fameux groupe.

Car quel groupe! Unique en son genre au Québec, et pas seulement en raison de son influence sur la musique d'ici. Beau Dommage, dès ses débuts et encore jusqu'à ce jour, fonctionne comme une coopérative: les chansons doivent être écrites expressément pour la formation et être acceptées à l'unanimité (après force remaniements et argumentations), les arrangements sont décidés par le groupe, et les profits sont partagés à parts égales entre les membres: «Ils ont décidé dès le départ de ne pas traiter Beau Dommage en «business», fait remarquer le biographe. C'est en s'astreignant à respecter des règles quasi monastiques qu'ils ont créé une véritable signature.

«J'ai dressé une chronologie des événements avant de rencontrer qui que ce soit, explique-t-il, et ensuite seulement, j'ai parlé avec les membres de Beau Dommage et leurs proches, mais toujours individuellement: je me méfie de la dynamique de groupe! Ça m'a permis de confirmer des dates, des événements, des lieux, en recoupant les souvenirs des uns et des autres.»

«Je n'ai pas vraiment de lecteur imaginaire quand j'écris, sauf moi-même, reprend-il. Je suis un chercheur et je cherche donc des réponses à mes questions. Comme tout le monde, je connaissais les grandes lignes de l'histoire de Beau Dommage, mais j'ai découvert également plein de choses que je n'imaginais même pas!»

Thérien explique par exemple à quel point le contexte social et politique de l'époque allait jouer en faveur de l'émergence d'un tel groupe: à l'époque où l'embryon de Beau Dommage se forme, le CRTC impose des quotas de musique canadienne aux radios et les programmes d'emploi gouvernementaux permettent aux jeunes d'expérimenter toutes sortes de choses (en étant payés!). Le talent et la conjecture conjugués ont donné Beau Dommage.

La preuve en est donnée par le tout premier chapitre de la biographie, littéralement inventé par Robert Thérien: que serait-il arrivé si Rivard, Léger, Bertrand et les deux Desrosiers s'étaient découragés et n'avaient pas reçu, in extremis, un appel de la compagnie de disques Capitol, intéressée par une chanson... qui n'allait pourtant pas figurer sur le premier album de Beau Dommage? Eh bien, vous et moi n'aurions alors jamais fredonné «Tous les palmiers, tous les bananiers...»