Mai 68, amplement évoqué au cours de l'année qui s'écoule, a laissé à l'histoire bien des mots dont cette interpellation qui servait à situer tel intervenant dans les débats, autour de la Sorbonne: «D'où parles-tu, camarade?»

La question se pose d'emblée quand on s'attaque à la lecture de la biographie de Claude Léveillée, écrite par Marie-Josée Michaud et dont Art global a lancé cette semaine le deuxième tome. Quatre ans après le premier, sorti quelques mois après que l'artiste - chansonnier pour les uns, comédien pour les autres - eut été frappé par une hémorragie cérébrale qui l'a laissé à demi-paralysé. Et qui marque la fin de l'oeuvre présente.

 

D'où l'auteure parle-t-elle? «Je suis la mandataire légale de Claude: je suis responsable de toutes ses affaires», nous disait Mme Michaud, mercredi au lancement. Lourdes responsabilités quand on sait que M. Léveillée, 76 ans, a été déclaré inapte au début de 2005 et que son état requiert des soins constants. Et sur un plan plus personnel? «Je suis l'amie de Claude.»

Amie devenue, à sa demande à lui, sa biographe... Ici, l'expression «biographie autorisée» déborde son sens traditionnel. Si, comme le dit l'auteure, M. Léveillée devait «approuver chaque mot», on ignore dans quelle mesure son état a pu affecter son jugement en la matière. D'où, on peut se dire, une plus grande liberté pour l'auteure, et la responsabilité accrue qui en découle.

Quoi qu'il en soit, on se retrouve devant une biographie de facture hybride dans laquelle se côtoient deux «je». Le «je, Claude Léveillée» qui se raconte avec les mots que lui prête sa biographe. Aucun doute, ici, sur la «propriété» desdits mots... Ailleurs, le «je, Marie-Josée Michaud» autour duquel s'articulent 20 des 30 chapitres de l'ouvrage. Avec, au début de chacun, cette inscription euphémique: «Note de l'auteur» ...

Ce «je» parle parfois comme juge, parfois comme amie mais le plus souvent comme intervieweuse. Pour compléter sa recherche dans les volumineuses archives personnelles de Claude Léveillée - qui a «tout» gardé -, Mme Michaud a rencontré une vingtaine de personnes qui, à un titre ou à un autre, ont côtoyé Claude Léveillée depuis que, en 1960, - c'est le début du tome II -, il est revenu de Paris où il avait été compositeur «en résidence» auprès d'Édith Piaf (1915-1963).

Beaucoup étaient présents mercredi. Des anciennes compagnes de vie comme la comédienne Louise Latraverse - qui se rappelle, dans le livre, les «airs tourmentés de poète maudit», une image dont Claude Léveillée n'a jamais pu se défaire. Et la journaliste-recherchiste Hélène LeTendre qui était aux côtés de Claude Léveillée pour son retour, à la fin des années 80: «C'était plus qu'un retour: c'était une résurrection», nous dira Mme LeTendre, qui est toujours l'épouse légale (la quatrième) de celui qu'elle considère comme un grand musicien: «On parle trop de ses chansons et pas assez de sa musique.» Un grand créateur, certes, mais «incapable de bonheur»...

Parmi les autres têtes couronnées présentes au lancement et dans le livre, on compte André Gagnon, qui a formé avec Claude Léveillée un prestigieux duo de pianistes. Puis Robert Charlebois et Yvon Deschamps, co-vedettes avec Léveillée, Gilles Vigneault et Jean-Pierre Ferland du retentissant 1 fois 5, spectacle à forte saveur nationaliste présenté sur les plaines d'Abraham et sur le mont Royal en juin 1976.

Producteur: Guy Latraverse. Qui était gérant de Léveillée quand celui-ci est devenu le premier auteur-compositeur-interprète québécois à «faire» la Place des Arts, le 27 avril 1964. Léveillée, lit-on, n'était pas plus facile avec ses agents qu'avec ses blondes: «Claude, c'est un ombrageux, un brumeux (...) il n'est pas positif, alors vient un temps où l'on se dit: «Qu'est-ce que je fais là?»»

Au-delà de la description de l'homme, de son personnage et de son entourage - on apprend, entre autres, que son fils Pascal, 20 ans, s'est enlevé la vie, en 1980 -, cette biographie a la qualité d'éclairer de grands pans de l'histoire du showbiz québécois et certains de ses acteurs principaux.

Pour le reste, ça dépend des goûts... Personnellement, un seul livre m'aurait suffi pour parfaire ma connaissance de l'Émile Rousseau de Scoop. Les deux tomes font 850 pages, l'éditeur Ara Kermoyan, a-t-on appris de la bouche de Mme Michaud, s'étant plié aux suppliques de l'auteure de ne pas user du couperet.

Restent donc de longues chutes du genre prose poétique, quelques calembours douteux et des passages où le menu du détail nous fait dire: woh! too much information... D'autres fois, c'est pas assez: par exemple, qu'en est-il de cette «plaisanterie offensante» dont Claude Léveillée aurait été la victime au Bye Bye de 1992? Si on n'est pas pour l'expliquer, pourquoi l'évoquer?

Et quoi d'autre l'amie biographe aurait-elle décidé de laisser «dans la grande nébuleuse de l'oubli» ?

Léveillée - tome II

Marie-Josée Michaud

Art Global, 478 pages, 29,95$

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