Le samedi 18 mai 1968, Charles de Gaulle rentre précipitamment d'un voyage en Roumanie où les mauvaises nouvelles de Paris n'en finissaient plus de lui parvenir. Le Général n'est pas content.

 Les travailleurs français se sont joints aux étudiants en révolte: dans la capitale, la Sorbonne est toujours occupée et le pays, avec bientôt sept millions de grévistes, est paralysé. La crise politique qui s'ensuivra poussera finalement Charles de Gaulle à quitter la vie publique. En France, on ne compte plus les ouvrages consacrés à «Mai 68»; plusieurs s'égarent dans les ruelles embrumées de la mythologie personnelle, d'autres viennent s'ajouter à la liste quinquennale des règlements de comptes partisans.

Patrick Rotman était aux barricades il y a 40 ans mais il a su éviter ces écueils. Si ceux qui s'intéressent, d'ici, à ces événements n'avaient qu'un livre à lire ce printemps, ce serait Mai 68 raconté à ceux qui ne l'ont pas vécu (Seuil); ils y trouveront clarté et concision. Ce samedi-là, raconte Rotman, de Gaulle aussi voyait les choses clairement: «Il faut savoir tirer quand il le faut», rappelle à Pompidou le président de la République française qui, 10 mois plus tôt à Montréal, avait embrasé le Québec - et le Canada! - en quatre mots: «Vive le Québec libre!» Un an plus tard, jour pour jour, une autre communication vient de haut mais son impact sera beaucoup plus vaste: à Rome, le pape Paul VI livre sa lettre encyclique Humanae Vitae (La vie humaine) qui interdit aux catholiques toute forme de régulation des naissances, point final!

«Après Humanae Vitae, les Québécoises ont déserté les églises par milliers», nous disait cette semaine Jacques Lacoursière, qui vient de lancer chez Septentrion le tome 5 de son Histoire populaire du Québec, couvrant la période de 1960 à 1970. De la mort de Maurice Duplessis à la crise d'Octobre, la décennie de la Révolution tranquille n'a-t-elle pas déterminé le Québec moderne?

«Pour moi, la Révolution tranquille avait déjà connu une accélération dans les années 50», corrige M. Lacoursière - «peut-être le plus méticuleux de nos historiens», écrit Paul-André Linteau dans la préface -, dont le tome 5 paraît 13 ans après les quatre premiers qui avaient été tirés de la collection populaire Nos racines. Toujours, sauf erreur, en collaboration avec son vieux comparse Denis Vaugeois à qui le dernier Salon du livre de Québec a rendu hommage pour l'ensemble de son oeuvre d'historien.

Pour Jacques Lacoursière, l'histoire «populaire» consiste à «retracer la vie quotidienne» de façon à ce que les gens n'aient «pas besoin d'un diplôme universitaire ou d'un dictionnaire pour comprendre». Et à donner la parole aux personnages parfois sur des pages entières: «J'aime les longues citations, c'est vrai: je ne voudrais pas prétendre écrire en mieux ce qui s'est dit alors...» La méthode Lacoursière exclut aussi les notes de bas de page et même la bibliographie, remplacée ici par une seule page intitulée «Retour aux sources»: «Un chef, explique l'auteur, ne donne pas ses recettes.»

Quant aux «saveurs de base» de la décennie, elles auront aussi de quoi surprendre. Pour M. Lacoursière, trois événements ont marqué plus que tous les autres la période 1960-1970 au Québec. En ordre chronologique, il évoque:

- la réélection, en 1962, du Parti libéral de Jean Lesage - et de René Lévesque, son ministre des Ressources naturelles - après la campagne «Maîtres chez nous» qui mènera à la nationalisation de toutes les entreprises privées d'électricité et à leur regroupement dans Hydro-Québec;

- la création, en 1964, du ministère de l'Éducation - Paul-Gérin Lajoie en sera le premier titulaire -, d'où sortiront un jour les polyvalentes et leurs méthodes nouvelles, les cégeps et l'Université du Québec. M. Lacoursière écrit que les premières années ont représenté «un beau gâchis» dont a profité l'Union nationale de Daniel Johnson, portée au pouvoir en 1966;

- la promulgation, en 1968, de Humanae Vitae, évoquée plus haut, qui marque la dernière phase de la désertion des fidèles et le coup final à l'influence de l'Église catholique; déjà sortis des écoles et des hôpitaux, les religieux, hommes et femmes, «défroquent par milliers». Jacques Lacoursière souligne toutefois que les clercs, en général, ne se sont pas opposés au mouvement de modernisation et que la hargne dont «les curés» ont fait l'objet n'était pas toujours justifiée.

Qu'en est-il, finalement, de ce «grand retard» que le Québec aurait comblé durant ces 10 ans? Jacques Lacoursière ne bronche pas: «En termes d'évolution, le Québec a toujours suivi le reste de l'Occident.»

Style direct, détails de contenu inédits: malgré toutes les faiblesses que l'on peut chercher - et trouver -, tous trouveront avantage à se laisser «raconter l'histoire» par Jacques Lacoursière.

L'histoire populaire du Québec , Tome 5 - 1960 à 1970

Jacques Lacoursière, Éditions du Septentrion, 456 pages, 29$.