Présenté comme «le bûcheron canadien», il chantait Ros'mont sous la pluie dans les boîtes parisiennes alors qu'ici, la province duplessiste n'en avait encore que pour la chansonnette française. Drôle de bûcheron, qui s'accompagnait au ukelele et n'entrait jamais en scène sans le chapeau de feutre de nos pères, de la plus urbaine tradition.

Raymond Lévesque a grandi dans les escaliers de la rue Saint-Hubert. Grand pataud aux genoux enflés, il était pour ses compagnons «Mayonnaise Raymond, 5 cennes le p'tit pot», du nom d'une marque populaire des années 40. Plus tard, sa belle-mère l'obligera à porter des culottes courtes alors que ses amis s'habillaient «en hommes». «Pourquoi il boude, Raymond?»

 

À 18 ans, le fils de l'éditeur Albert Lévesque avait perdu deux mères et une oreille. Quant aux relations avec son père, elles resteront toujours difficiles, absorbé qu'était le monsieur par sa propre insécurité face au lendemain. Comment se surprendre que le fils, dans la jeune vingtaine, se promène déjà comme un écorché vif, cherchant dans l'alcool - qui restera son lot quotidien - l'impossible réconfort? Heureusement, il y avait la chanson... Ou est-ce là le malheur?

Raymond Lévesque - Une vie d'ombre et de lumière nous fait voir comment ce grand timide à l'accent chuintant s'est fait connaître dans les boîtes de Montréal avant de passer à la radio, où il a été un des premiers à faire dans la «chanson canadienne». Qu'il emportera dans ses maigres bagages à Paris où il côtoiera les Barbara, Brel, Brassens et autres voix montantes. À son retour au pays (en 1958), c'est la télévision qui le fera connaître au grand public, comme comédien puis comme chansonnier.

La grande qualité de la biographie de Céline Arsenault est de nous montrer à quel prix s'est fait ce douloureux cheminement. Dans un style dont la sobriété fait oublier quelques clichés, Mme Arsenault a su mettre à profit la proximité de ses sources, elle qui, après son divorce avec Raymond Lévesque, est restée «son amie», «son accompagnatrice» et la «traductrice» du poète sourd, qui lui a ouvert les carnets où il notait tout.

Les contradictions de l'homme

Si l'auteure a gardé un parti pris favorable à son «sujet», elle ne cache rien (565 pages!) des ombres contradictoires de cet homme «obsédé par le suicide» qui, disant ne croire en rien, n'en fait pas moins baptiser ses enfants. Il en aura cinq, de trois femmes et sur deux continents, apport vaste à la notion de  «famille reconstituée»...

Pour la plupart des gens, Raymond Lévesque reste l'auteur de Quand les hommes vivront d'amour (1956), «chanson du siècle» qui, par son caractère universel, survivra justement à son siècle, hymne à l'humanité qu'ont chanté, depuis 60 ans, des interprètes aux horizons aussi différents qu'Eddie Constantine, Gerry Boulet et Luce Dufault.

Pour certains, il est le «poète des travailleurs», le militant de toutes les causes, la voix des gagne-petit dont il s'est toujours réclamé : «Toute ma vie, je me suis fait fourrer.» Par la convergence dynamique de cette paranoïa et de la force de manipulation qu'acquièrent tous les gens de scène de talent, cette image de perdant aura plutôt bien servi le «pionnier oublié»... à qui on ne finit plus de rendre hommage.

Icône du mouvement nationaliste - Raymond Lévesque a écrit Bozo-les-culottes pour les militants du FLQ -, il représente pour d'autres un naïf aux horizons dépassés qui soutient encore que « le problème, c'est les Anglais «.

«Les soldats seront troubadours», écrivait Raymond Lévesque, le troubadour devenu soldat... «Chaque homme porte en lui son ciel et son enfer.»

Raymond Lévesque- Une vie d'ombre et de lumière

Céline Arsenault

Ed. de l'Homme, 587 pages 4,95 $

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