Elle a beau être liée au monde musical, c'est désormais comme réalisatrice (Banc public, Format familial) et auteure d'albums jeunesse que Stéphanie Lapointe s'épanouit. Dans quelques jours, elle lancera un deuxième roman graphique et une suite à sa série Fanny Cloutier.

Il y a eu un premier roman graphique en 2015, Grand-père et la lune, illustré par Rogé. Une très belle allégorie sur la célébrité inspirée de sa participation à Star académie, qui a d'ailleurs remporté le prix du Gouverneur général l'année suivante. Puis, le printemps dernier, un roman illustré, Fanny Cloutier ou l'année où j'ai failli rater mon adolescence, dont le deuxième tome sortira lui aussi en novembre, et maintenant cette fable illustrée par Delphie Côté-Lacroix, Jack et le temps perdu, qui sortira dans une dizaine de jours.

Qu'est-ce qui t'attire dans la littérature jeunesse?

Ce public-là, je le trouve fascinant. Les jeunes sont intransigeants, ils aiment ou ils n'aiment pas. On ne peut pas tricher avec eux. J'ai souvent eu un sentiment d'imposteur, pourtant quand je fais de la littérature jeunesse, je ne me pose jamais la question si le ton est juste. Je le fais avec sincérité et cette sensibilité de l'enfance, je la porte encore en moi. Ça m'intéresse de leur parler. Je trouve ça hyper valorisant. Je le vois dans leurs yeux quand je trouve une histoire qui résonne, comme avec Fanny. Ça me parle plus que de parler à des adultes. Il y a une brèche qui est complètement ouverte, ils sont à l'écoute, ils vivent une période de grands bouleversements aussi.

C'est un deuxième roman graphique. Qu'est-ce qui te plaît dans ce format?

C'est assez près du monde de la chanson, donc c'est un terrain de jeu que je connais bien. Il faut arriver à dire les choses en peu de mots, en délicatesse. C'est pour moi ce qu'il y a de plus proche de la poésie. Les images complètent les mots, les idées. Il y a quelque chose de tellement personnel dans ces livres-là. Si je n'avais pas étudié les textes de chansons, je ne sais pas si j'aurais pu le faire. Un roman graphique, pour moi, c'est un rythme, un souffle, une musique. Parfois je mets un mot, parfois une ligne, ce jeu-là, qui se mêle avec les dessins, me plaît beaucoup. Je prépare un autre album en ce moment et ce sont des moments où je m'amuse. Je me fais vraiment un cadeau quand je fais ça.

Tu as travaillé avec Rogé, Marianne Ferrer, maintenant Delphie Côté-Lacroix. Qu'est-ce que tu recherches chez un illustrateur?

Une sensibilité et une liberté, c'est ce qui m'attire le plus. J'aime travailler avec des dessinateurs qui sont capables de se laisser aller, comme les enfants le font. Il y a une réflexion énorme derrière des projets comme ceux-là, mais il y a quelque chose dans le coup de crayon qui est important. Pour que ça me touche, il faut qu'il y ait un aspect très brut, c'est là que le coeur parle le plus sincèrement. Delphie, par exemple, j'ai eu envie de travailler avec elle en voyant le dessin d'un pêcheur qu'elle avait fait. J'avais été attirée par ses yeux.

Qu'est-ce qui t'a donné l'idée de cette histoire de pêcheur qui vit en solitaire sur son bateau à la recherche de son fils?

J'ai commencé à écrire cette histoire de pêcheur qui devient très aigri face à l'épreuve, sans trop savoir où je m'en allais. Je venais de me séparer, ma fille avait deux ans et demi et je sentais qu'il y avait deux chemins qui se dessinaient: soit je devenais aigrie et fâchée de ce qui m'arrivait, soit je faisais avec en essayant de grandir à travers cette épreuve. Ç'a l'air cliché, mais je pense que ce sont des choses qu'on a besoin d'entendre quand on les vit.

Ton pêcheur devient aigri et même méchant, mais il a quand même perdu son fils! Est-ce qu'on peut le lui reprocher?

Non, c'est sûr que c'est un sentiment profondément humain. Mais l'épreuve peut vraiment nous changer. Il devient une autre personne. On est chanceux d'être épanouis et heureux, mais il faut prendre conscience que c'est un cadeau du ciel. J'ai de l'empathie pour ceux qui ont vécu des drames ou des épreuves, mais il y a malheureusement des conséquences à ça.

Tu as voulu faire un rapprochement entre le deuil d'une relation amoureuse et celle de la perte d'un enfant?

Ce qui m'intéressait encore plus, c'était de montrer que la bonté et la méchanceté sont des terreaux qui nous habitent tous. Après, ce qu'on en fait, ça dépend de ce qu'on a vécu, de ce qu'on a reçu, de notre résilience aussi. C'est une fable, mais je pense que les adultes peuvent aussi y trouver quelque chose. Cette perte du fils, entre autres.

Parallèlement à cette histoire, il y a l'attente et le drame de la femme du pêcheur, qui attend son amoureux et son fils...

Oui, d'où le titre du livre, Jack et le temps perdu, parce qu'on sait que lorsque le bateau passe, il passe vraiment, il ne revient pas. Quand on vit un échec, on se rend compte de ça. Quand les occasions passent, mais surtout les êtres humains, c'est triste. Le temps perdu de Jack, c'est ce temps qu'il n'a pas passé avec son amoureuse.

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Jack et le temps perdu. Stéphanie Lapointe et Delphie Côté-Lacroix. Quai no 5. 90 pages. En librairie le 8 novembre.

Image fournie par Quai no 5

Jack et le temps perdu