La bédéiste autrichienne Ulli Lust vient de faire paraître un album autobiographique fracassant, qui a concouru pour le Fauve d'or au Festival d'Angoulême, la semaine dernière. Nous lui avons parlé de son récit intitulé Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien.

Ulli Lust est son nom. Dans son premier album autobiographique paru en 2010, Trop n'est pas assez, elle abordait un chapitre mouvementé de sa jeunesse: une virée de deux mois en Italie l'année de ses 17 ans, avec une amie. Sans bagage ni argent. La jeune punkette mendie, consomme de la drogue et fait des rencontres à la fois formidables et hasardeuses. Le voyage se terminera en Sicile par un viol.

On est loin des Schtroumpfs mes amis. L'album graphique explicite dérange et remporte le prix de la Révélation à Angoulême (en 2011), ainsi que plusieurs prix en Allemagne où elle vit depuis 20 ans.

Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien est la suite de la vie d'Ulli. La jeune Autrichienne est alors âgée de 23 ans et elle se concentre sur son travail d'illustratrice. Sa liaison malheureuse en Sicile lui a donné un magnifique garçon appelé Philipp, qui vit avec ses parents dans la campagne viennoise. Ulli s'y rend tous les week-ends pour le voir. Et oui, elle se sent coupable. Mais c'est ainsi.

Relation ouverte

On arrive au coeur du récit: Ulli fréquente un homme plus âgé qu'elle - Georg - qui travaille comme acteur pour une petite compagnie de théâtre. Un homme qu'elle aime beaucoup, mais qui au bout d'un moment lui avoue sa panne de désir en même temps que son amour pour elle et son envie de continuer à la fréquenter. Ce à quoi Ulli consent. Leur relation est déclarée «ouverte», le corps de la jeune femme brûlant de désirs.

C'est ainsi qu'elle fera la rencontre d'un jeune Nigérian charismatique, Kimata, arrivé à Vienne depuis peu. Une relation charnelle intense s'ensuit. Mais le jeune homme peine à partager Ulli avec un autre.

«Ce n'était pas la bonne personne pour avoir ce genre de relation, nous dit Ulli Lust au cours d'un entretien téléphonique. Depuis que je suis jeune, j'ai toujours été très libérale en amour. Je n'aime pas la souffrance et le drame des relations monogames. Je lui avais clairement dit que s'il voulait une relation exclusive, il devait voir ailleurs. Je ne pouvais pas lui promettre plus que ce que je lui donnais, même si je l'aimais. Il a choisi de continuer à me voir, mais il était jaloux...»

IMAGE FOURNIE PAR ÇÀ ET LÀ

Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien, d'Ulli Lust

Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien aborde cette double relation périlleuse et le besoin de liberté de l'illustratrice (un travail «exigeant» selon elle), mais pas seulement. Il y a sa relation avec son fils Philipp, avec ses parents, si patients - «je leur dois tout», nous dit-elle en parlant d'eux. Son désir de percer un milieu (des arts) qui se referme systématiquement sur elle. Mais aussi son combat personnel contre les injustices sociales de son pays et le tabou des relations interraciales dans les années 90.

Ce récit autobiographique aux dialogues puissants soulève une foule de questions intéressantes et même quelques réponses qui ne feront sans doute pas l'unanimité. Ulli Lust reconnaît qu'elle n'aurait pu l'écrire au moment où elle a vécu ces événements. 

«Ce qui compte pour moi, c'est de raconter de bonnes histoires. J'ai été privilégiée de vivre cette histoire-là, qui je crois valait la peine d'être creusée et partagée parce qu'elle aborde plusieurs sujets intimes.»

Jalousie et souffrance

Les trois protagonistes d'Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien admettent tous à un moment ou un autre leur jalousie (Kim en particulier, qui était aussi manipulateur, précise la bédéiste). N'y a-t-il pas une souffrance inévitable dans ce type de relation ouverte?

«Je crois que c'est normal d'avoir des sentiments contradictoires, répond la femme de 50 ans, qui se révèle entièrement dans cet album et qui ne regrette absolument rien de cette romance, qui a fini par éclater. C'est humain. Mais ça ne m'a jamais empêchée d'y faire face. C'est vrai que c'est compliqué et il y a dans les relations ouvertes un défi psychologique. Mais pour moi, c'est toujours mieux qu'une relation monogame, qui a aussi son lot de difficultés. Même si je suis consciente du fait que la majorité des gens qui liront l'album ne seront pas d'accord avec moi. Entre autres parce que je suis une femme...»

Pour l'illustratrice, qui a peiné pendant des années à vivre de son art, sa sélection à Angoulême parmi les 10 finalistes relève de la consécration. «Je ne pensais jamais en arriver là, nous dit-elle humblement. Ça fait quand même 20 ans que je travaille comme illustratrice et bédéiste. Je ne m'attendais pas à ce que cet album ait autant de succès, mais mon astrologue me l'avait prédit», dit-elle en riant - une référence que l'on retrouve dans l'album.

Que pense Ulli Lust du mouvement #metoo, elle qui a subi la violence de son amoureux Kimata? «Je crois que c'est très important. Il ne faut pas garder le silence. Mais il faut savoir que psychologiquement, c'est très difficile de vivre une relation où quelqu'un vous aime un jour et veut vous tuer le lendemain. J'ai dénoncé Kim une première fois pour lui faire peur, mais j'ai retiré ma plainte après parce que je ne voulais pas attiser sa colère et le faire souffrir. Ce sont des situations très difficiles à gérer.»

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Alors que j'essayais d'être quelqu'un de bien. Ulli Lust. Çà et là. 367 pages.